La science, Allègre et nous
Avec cette chronique de Jacques Testart, Président de la fondation Sciences citoyennes, nous inaugurons la publication de réflexions qui alimenteront un colloque que Politis organisera samedi 20 novembre à Paris, sur les enjeux pour la démocratie des polémiques touchant à la vérité scientifique, comme l’illustre le cas Allègre.
On peut, à l’instar de Denis Sieffert, réunir Claude Allègre, Georges Frêche et Michel Charasse (mais sûrement aussi quelques autres) dans le parti des « beaufs », lesquels sont identifiables par leur discours trivial, l’apologie de la croissance, ou le choix du scientisme contre la précaution. Les « beaufs de gauche », tout autant que ceux de droite, s’avèrent ainsi en forte proximité avec les manières et la philosophie sarkozystes, ce qui peut expliquer la place démesurée que les médias accordent à leurs saillies. Le bouquin d’Allègre sur le climat se vend très bien, ce qui pourrait laisser croire que la critique de la science officielle est populaire. Ce n’est pas exact, pourvu qu’on ne confonde pas la science (le savoir, la connaissance) avec son enfant bâtard quand elle a copulé avec le négoce (la technoscience, l’« innovation compétitive »). Le public est intrigué plutôt que séduit par le combat solitaire, et a priori supposé courageux, d’un scientifique qui se dresse quasiment seul contre le discours majoritaire, celui du Giec mais aussi du bon sens, qui voit bien que l’homme a épuisé sa planète. Pourtant, la posture d’Allègre ne peut pas suffire à lui donner raison, surtout si on connaît les arrangements avec la vérité dont le personnage est coutumier depuis plus de trente ans mais qu’il camoufle soigneusement.
Comment choisir où est la « bonne science » entre les travaux du Giec et les insultes d’Allègre ? Le débat sur la réalité et surtout sur l’origine des changements climatiques introduit une nouveauté dans les rapports entre science et société : ici, il ne s’agit pas d’expertiser des artifices mais le savoir lui-même. Cependant, la question porte des conséquences immédiatement politiques et économiques, et il est alors tentant de donner raison au Giec parce que ses conclusions, largement consensuelles, desservent les intérêts des lobbies industriels. Dans l’affichage médiatique, les négationnistes du climat sont largement gâtés (la plupart des débats opposent un membre du Giec à l’un d’eux, comme si tout se valait) parce qu’ils rassurent et qu’ils encouragent la pulsion de consommer. Pétroliers, constructeurs d’automobiles, banquiers ou marchands d’OGM, tous les puissants soutiennent les « savants » qui œuvrent afin que rien ne change dans nos modes de vie… jusqu’au mur final.
Pourtant, prétendre que l’ennemi objectif des méchants est forcément celui qui porte la vérité est un peu facile et tricherait avec la raison. Quand le verdict des experts est conforme aux intérêts des puissants, comme il arrive presque toujours, le citoyen doit s’interroger sur la qualité vraie de la vérité scientifique. Mais on ne peut pas supposer que la complaisance nourrisse les rapports du Giec, insupportables pour les apôtres de la croissance infinie. Alors, ces rapports ne pourraient être invalidés que par l’erreur. Pourtant, sauf peccadilles dûment dénoncées par les climatio-sceptiques, on peine à croire que des erreurs significatives aient pu passer inaperçues lors de l’élaboration par des milliers d’expert. Ainsi, par la seule raison, ceux qui ne sont même pas climatologues sont amenés à soutenir les résultats du Giec contre les élucubrations d’Allègre !
Mais il est des controverses dans lesquelles le non-spécialiste est démuni. Savoir si les plantes transgéniques constituent un progrès humain ou si on maîtrise l’industrie nucléaire, voilà des sujets où la quasi-unanimité des experts est suspecte tant elle conforte des intérêts économiques. D’autant qu’il ne s’agit plus ici de faits (de « vérités ») mais de la prescription de recettes. Dans ces situations, seules des personnes « ordinaires » (n’ayant aucun intérêt à défendre une position plutôt qu’une autre) et complètement informées des savoirs (y compris des savoirs minoritaires) comme des enjeux (y compris par des experts non scientifiques) sont capables de produire un avis pertinent pour toute la population. C’est ce que permettent les « conventions de citoyens » que nous défendons ^2, et dont on ne comprend pas que les élus refusent obstinément le bénéfice.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
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