Radios associatives : la banque d’échange des programmes est menacée
Vingt ans après sa création, le programme d’échanges entre radios associatives (Epra) doit être arrêté pour raisons budgétaires. La mobilisation a été lancée pour sauvegarder cet outil de la politique de la Ville.
L’Epra, programme d’Échanges et productions radiophoniques vieux de vingt ans, vit peut-être ses derniers mois. Créé en 1992 sous la volonté de l’Institut du monde arabe et de RFI – qui souhaitaient s’adresser aux immigrés en s’appuyant sur les radios associatives -, ce fonds finance aujourd’hui des émissions sur la « politique de la Ville », la lutte contre les discriminations et l’insertion des migrants. Chaque année, environ 400 heures de programmes, reportages ou interviews, sont partagées entre les 171 radios adhérentes du réseau, qui les diffusent gratuitement.
L’Epra fait de la résistance
Pour les radios associatives, ces programmes d’une vingtaine de minutes en moyenne constituent un contenu de qualité à moindre frais. Ils représentent aussi, pour les stations productrices, une source de revenus non négligeable. L’Epra paye les reportages qu’elle sélectionne entre 700 et 900 euros par heure[^2], ce qui permet souvent l’embauche d’un journaliste professionnel. Selon l’estimation des intéressés, 200 journalistes dépendent indirectement de l’Epra. En 2011, 76 radios ont vendu des programmes, pour un montant total allant d’une cinquantaine d’euros à plus de 20 000 euros.
Depuis vingt ans, et malgré la division de moitié de sa dotation ces trois dernières années, ce système de coopération faisait de la résistance. En mars 2012, une crise de gouvernance a brutalement interrompu les échanges de programmes pendant plusieurs mois. Non sans mal, l’Epra a redémarré, mais en novembre il a été rattrapé une nouvelle fois – et peut-être définitivement – par la chasse aux économies budgétaires. Le ministère de la Ville, principal financeur du programme, a demandé la liquidation définitive du réseau : fin 2013, le fonds devra être totalement dissous.
« Depuis trois ans, l’Epra a drastiquement diminué ses coûts de fonctionnement » , défendent pourtant les intéressés. Ils espèrent même pouvoir élargir le tour de table pour alléger le poids financier du programme[^3], en associant les ministères de l’Emploi, de l’Éducation, de l’Économie sociale et solidaire et de l’Environnement.
« Un outil magnifique » de la politique de la Ville
Pour les radios associatives, la disparition de l’Epra constituerait un manque à gagner important. Il s’est déjà fait ressentir cette année avec les soubresauts qui ont agité le réseau : « Nous avions vendu pour 9 000 euros de programmes à l’Epra en 2011, contre seulement 1 000 euros en 2012, raconte Farid Boulacel, directeur de New’s FM, radio associative de l’agglomération grenobloise. Une telle baisse de recette n’est pas simple à gérer pour une petite association comme la nôtre.»
Le Comité interministériel des villes, pilote de la politique de la Ville, qui a hérité il y a trois ans de la gestion de l’Epra, a donc proposé que des fonds équivalents (environ 1,1 million d’euros en 2009 et 570 000 euros en 2012) soient distribués sous forme d’appel à projet aux radios.
Mais les élus au CA de l’Epra rejettent une « tentative de duperie » et défendent leur outil : « Nous allons remplacer un système de coopération qui crée une émulation entre les radios par un programme d’appel à projet beaucoup plus lourd à gérer », regrette Patrice Berger, de « Radio d’ici » (Loire). Ils craignent aussi que ces appels à projet soient moins pérennes que l’Epra et que les 11 000 heures d’archives accumulées en 20 ans d’existence tombent aux oubliettes.
« L’Epra est un outil magnifique pour valoriser ce qui se passe dans nos villes. Si nous le supprimons, il n’y aura plus de radios pour parler des initiatives positives qui se déroulent dans les quartiers », regrette Farid Boulacel.
Les responsables de radios associatives brandissent donc l’Epra comme un outil efficace de la « politique de la Ville » au moment ou le ministre délégué à la Ville, François Lamy, annonce vouloir « repenser totalement la place des habitants » dans sa politique. « Ce n’est pas l’Epra qui va creuser le déficit public, se désole Patrice Berger. Le supprimer, en revanche, créera un déficit d’expression dans les quartiers. »
La mobilisation démarre donc pour les radios associatives, qui tentent d’alerter les médias et « le mouvement social », comptant aussi sur le soutien des élus locaux. Pour l’heure, elles attendent aussi de connaître le montant de la dotation du réseau pour l’année 2013.
[^2]: : 914,69 € de l’heure pour les émissions commandées par l’Epra, 724,13 € de l’heure pour les émissions prêt à diffuser (PAD) et 609,80 € de l’heure (ou moins) pour les émissions nécessitant une intervention de l’équipe technique de l’Epra.
[^3]: Qui repose principalement sur l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances,
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