Royal ne veut plus voir le loup
Répondant à la pression des éleveurs d’ovins, la ministre de l’Écologie durcit les mesures de contrôle contre l’animal, pourtant strictement protégé au niveau européen. Les associations crient au scandale.
dans l’hebdo N° 1313-1315 Acheter ce numéro
Augmentation du nombre des tirs autorisés, élargissement de leur périmètre, battue organisée au cœur d’un parc national : la guerre contre Canis lupus a repris de plus belle dans les alpages. Et c’est la ministre de l’Écologie qui est à la baguette. En l’espace de trois semaines, Ségolène Royal a fortement renforcé l’arsenal juridique anti-loup. Fin juin, elle portait à 36 le nombre d’individus qu’il sera légalement possible de « prélever » (c’est-à-dire d’abattre) dans l’année, contre 24 en 2013, soit une augmentation de 50 %. Ces tirs, encadrés par la préfecture et réalisés par des agents de l’État, pourront être pratiqués dans vingt départements, six de plus que l’an dernier. Au-delà de la région Rhône-Alpes, où, depuis l’Italie, le carnivore s’est naturellement réinstallé à partir de 1992, cette zone englobe désormais une portion importante du Massif central, la frange orientale des Pyrénées, les Vosges et même une partie de la Champagne-Ardenne, où l’animal a récemment été aperçu de manière « permanente ». Environ 300 individus sont actuellement recensés en France, une croissance de 20 % par rapport à l’an dernier. Par ailleurs, avec l’aval du gouvernement, les députés ont adopté début juillet, en deuxième lecture de la loi d’avenir pour l’agriculture, un amendement autorisant les éleveurs à tirer eux-mêmes sur le loup. Et ce en cas de dommages importants causés à leurs troupeaux dans des zones de protection renforcée que les préfets auront la charge de délimiter, et pour une durée maximale d’un an. Pour finir, la ministre veut donner toute latitude à l’administration pour autoriser les chasseurs à tirer sur le loup lors de battues ciblant le grand gibier (sanglier, cervidés…). Le contenu de cet arrêté, curieuse pratique, a été soumis à la consultation du public.
Cette agitation répressive vise a priori le contrôle de la dynamique d’une espèce naturellement conquérante, comme le prévoit le Plan loup 2013-2017. Pourtant, affirme sans fard un communiqué du 28 juin, « Ségolène Royal décide de mieux protéger les éleveurs », avant de rencontrer les préfets concernés, des élus et des éleveurs victimes dans les Hautes-Alpes. De fait, ces annonces ont surtout eu pour effet d’attiser la colère. « Prélèvements annoncés mais pas effectués [^2], charge reportée sur les éleveurs et les chasseurs […], on se moque de nous !, tempête la Confédération paysanne, qui soupçonne une pure opération de communication. De véritables actions de piégeage doivent être menées par les services de l’État pour éliminer les meutes dévastatrices. » De leur côté, les écologistes soulignent la confusion politique. Les tirs autorisés ont été étendus à des départements où le loup, récemment repéré, n’a pas (encore) soulevé de conflit. Les constats, qui ouvrent droit à l’indemnisation des propriétaires de troupeaux, attribuent au prédateur la mort d’environ 6 000 brebis par an. Ce qui représente moins de 0,1 % du cheptel national. Selon les associations écologistes, les chiens errants font bien plus de ravages – sujet tabou. Par ailleurs, si l’été 2013 avait connu une recrudescence d’attaques, Ségolène Royal a reconnu que, « pour la première fois », les dommages n’ont pas augmenté entre 2012 et 2013. Dans le Monde du 12 juillet, la ministre explique ainsi ses motivations : « Il y a beaucoup trop de loups ! Tous les jours, il y a des attaques, les troupeaux sont décimés. Même les enfants ont peur. L’espèce n’est plus menacée mais en expansion. » Très remonté, le collectif Cap Loup (Aspas, Ferus, SFEPM) lui rappelle dans une lettre ouverte que l’animal est sous double protection internationale – la Convention de Berne et la directive « Habitats » : « La protection de la nature fait-elle encore partie des objectifs de votre ministère ? » La colère est encore montée d’un cran avec la battue d’effarouchement organisée le 10 juillet dans les Alpes, sur la zone centrale du Parc national des Écrins, sous la pression d’éleveurs. Une battue administrée afin de pousser le loup vers des chasseurs qui l’attendaient à l’extérieur des limites, et autorisés à tirer par un arrêté préfectoral [^3]. « Vous avez pourchassé une espèce protégée dans un espace protégé ! », fulmine Cap Loup dans un courrier au directeur du parc, soulignant les dégâts de l’opération pour l’ensemble de la faune locale.
L’an dernier, le parc national des Cévennes avait déjà tenté de faire de la région une zone d’exclusion du loup, s’alarme l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas), qui s’interroge sur l’incapacité à gérer la présence du prédateur, alors que le pays compte moins de 1 % de sa superficie réellement protégée par des réserves naturelles et des parcs nationaux. « L’Italie accueille 1 500 loups, l’Espagne 2 500, la France seulement 300. Mais c’est en France que leur présence passe pour insupportable. » Ces mesures anti-loup révèlent en fait une offensive qui ne dit pas son nom contre la nature sauvage, estime Pierre Atanaze, président de l’association. Il lance un appel au monde scientifique pour tenter de la contrecarrer.
[^2]: L’an dernier, le bilan des prélèvements, difficiles à réaliser, s’était soldé par l’élimination de huit loups, auxquels peuvent s’ajouter quatre animaux tués par braconnage.
[^3]: Un arrêté immédiatement cassé par la justice, comme une bonne dizaine d’autres au cours des derniers mois, en raison d’un manque d’encadrement des battues.