« Avec 20 % d’indécis, rien n’est joué en Espagne »
À la veille des élections législatives en Espagne, Héloïse Nez, sociologue et maître de conférences à l’université de Tours analyse la trajectoire de Podemos, De l’indignation aux élections.
Pour comprendre Podemos, il faut s’arrêter sur sa filiation avec les gauches latino-américaines, du Venezuela, de la Bolivie et de l’Équateur. Sur ses liens avec le mouvement des Indignés, au printemps 2011, qui mettait en cause le système en place après la transition démocratique, le bipartisme et le gouvernement par les élites, sclérosé par la corruption.
Au terme de quatre années de recherche sur cet «ovni» de la gauche européenne, la sociologue Héloïse Nez rappelle que Podemos n’a pas surgi des assemblées des Indignés, mais que ses fondateurs avaient déjà réfléchi à un projet politique ; la majorité des instigateurs de Podemos étant des anciens militants de Izquierda Unida .
Dans un contexte de crise économique et de discrédit des partis politiques en Espagne, Podemos a réussi à remobiliser l’électorat espagnol, notamment les jeunes, avec une offre politique alternative anti-austérié, à l’image de Syriza, en Grèce. Le mouvement a développé une dynamique très locale pour répondre aux problèmes de chômage et de logement, participant activement au mouvement de lutte contre les expulsions liées aux prêts hypothécaires à taux variable, très repandus en Espagne.
Institutionnalisation du mouvement des Indignés
En deux ans, le mouvement a réussi à modifier le paysage politique espagnol et faire exploser le bipartisme. Quatre forces qui se disputent désormais le pouvoir : le Parti populaire (PP), le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), Ciudadanos et Podemos.
Malgré une expansion rapide, depuis janvier 2015, le parti connaît aujourd’hui une baisse de popularité due, selon l’auteure, à plusieurs facteurs : une campagne médiatique hostile ; l’émergence d’un nouveau parti se revendiquant d’une mouvance citoyenne, Ciudadanos ; l’échec de Syriza en Grèce, que leur secrétaire général de Podemos Pablo Iglesias avait soutenu, face à l’Union européenne et la forme très verticale privilégiée par Podemos.
Le mouvement s’est en effet construit une image médiatique autour d’un leader charismatique, contribuant à l’institutionnalisation du mouvement des Indignés.
Interrogée sur l’existence d’un parti d’extrême droite en Espagne dans le contexte électoral actuel, Héloïse Nez observe que le PP, actuellement au pouvoir, regroupe différents courants de la droite, y compris parmi les anciens franquistes.
Deux millions de voix… À l’étranger
La question de l’immigration n’est par ailleurs pas mobilisatrice en Espagne. C’est l’exil économique des Espagnols qui focalise au contraire l’attention, notamment de Podemos :
Les Espagnols résidant à l’étranger déplorent en effet la complexité administrative du vote depuis leurs pays d’accueil. La plateforme Dos Millones de Votos (deux millions de votes) – en référence au nombre d’exilés économiques – créée par un groupe d’avocats, juristes et universitaires, et le collectif transnational Marea Granate , demande actuellement le décret de « mesures urgentes » pour étendre le délai du vote par courrier postal. Depuis 2011, les Espagnoles résidants à l’étranger doivent formuler une demande express et préalable pour voter depuis l’étranger.
Seulement 8 % des électeurs espagnols à l’étranger ont formulé une demande pour le scrutin de dimanche, comme conséquence de ce voto rogado . Par ailleurs, certains électeurs se plaignent du retard des bulletins de vote qui ne sont toujours pas arrivés à leur domicile, alors que le délai d’envoi est déjà terminé.
Podemos, de son côté, a lancé récemment la campagne « Rescata mi voto » pour tenter de mobiliser les abstentionnistes volontaires à « sauver » les votes des exilés économiques, en votant à leur place. Il mène aussi campagne pour faciliter le retour des émigrés et leur donner une voix en créant une circonscription extérieure au Congrès.
La plupart des sondages donnent le PP gagnant dans les intentions de vote, mais ils sont partagés sur le score des 3 autres formations politiques. « Il est très difficile de faire des pronostiques, les sondages sont variables et 20 % des électeurs sont indécis. Il faudra attendre dimanche pour vraiment savoir quelle sera la position finale », analyse Héloïse Nez. L’enjeu de cette élection dans laquelle aucun parti n’aura la majorité absolue, comme cela avait été le cas jusqu’à ce jour, sera donc qui détiendra le jeu des alliances.
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