Kurdes : Le silence coupable de l’Union européenne
Des centaines de militants se sont rassemblés, samedi, Place de la Bastille pour dénoncer « l’inertie occidentale » face à la guerre civile que leur livre Recep Tayyip Erdoğan.
Les manifestants dénoncent une guerre menée à huis-clos, conduite en toute impunité… « Hier encore, neuf de nos jeunes ont été brûlés vifs », alerte Berivan Akyol, membre du Conseil démocratique des Kurdes en France (CDKF) :
La France, comme les autres pays de l’Union européenne taisent les actes génocidaire de l’État turc. Mais nous ne pouvons pas, au profit d’intérêt politique, voter un financement qui sert aujourd’hui à massacrer le peuple kurde.
A la tête du cortège, Berivan Akyol fait allusion au « plan d’action » signé par Ankara et Bruxelles. Cet accord prévoit d’octroyer une aide européenne de trois milliards d’euros aux autorités turques, pourtant soupçonnées de collaborer avec Daesh, en échange de leur engagement à mieux contrôler leurs frontières et à lutter contre les passeurs. Les manifestants, réunis pour soutenir le combat du peuple kurde, mais aussi briser le silence qui entoure le conflit, réclament la fin de toute collaboration entre l’Union européenne et la Turquie. Plus encore, ils demandent « l’arrêt immédiat des massacres, la levée des blocus et la fin des couvre-feux » dans les villes kurdes visées par la répression et les dérives de l’État turc, dont Cizre, Sur et Silopi.
« C’est une guerre totale à laquelle nous assistons sans rien faire, intervient Fidan. Non seulement le gouvernement souhaite neutraliser les Kurdes, mais il veut aussi faire taire ceux qui les soutiennent… » En janvier, un vingtaine d’universitaires ont été interpellés après avoir signé une pétition réclamant l’arrêt des opérations menées par les forces de sécurité turques dans l’est du pays. L’« initiative des universitaire pour la paix » a été signée par plus de 1.200 intellectuels et dénonçait « le massacre délibéré et planifié en totale violation des lois turques et des traités internationaux signés par la Turquie ». Par ailleurs, deux journalistes du journal d’opposition Cumhuriyet, Can Dündar, rédacteur en chef, et Erdem Gül, son représentant à Ankara, demeurent incarcérés à Istanbul. Pour avoir accusé les services secrets turc de transporter des armes destinées à des groupes islamistes syriens, les journalistes sont poursuivis pour « espionnage », « divulgation de secrets d’État », « tentative de coup d’État » et « assistance à une organisation terroriste ».
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« Leur silence, nos morts »
Si les Kurdes ne sont plus des anonymes aux yeux de la communauté internationale qui les a érigé en héros de la lutte contre Daesh, ils n’en demeurent pas moins marginalisés et réprimés pour leur combat politique. Selon le CDKF, « le projet politique du confédéralisme démocratique » développé par les forces kurdes en Syrie « est l’antithèse des principes fondateurs de l’État turc nationaliste et patriarcal, incarné aujourd’hui par l’AKP ».
Militante au sein de l’Union des étudiants kurdes de France (UEKF), Songul espère beaucoup de ces mobilisations. En tant que membre de l’UEKF, la jeune fille est chargée de sensibiliser les étudiants dans les universités. Aujourd’hui, elle distribue les tracts.
On ne parle de nous que parce que nous combattons Daesh. Mais nous combattons aussi l’État turc, rappelle Songul. Et puis, la donne a changé. Les Kurdes ne se battent plus seulement dans les montagnes. Désormais, même les villes sont attaquées.
Si cette étudiante de 18 ans s’est engagée en septembre, peu après la rupture du processus de paix entrepris entre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), mouvement armé de la rébellion kurde, et le gouvernement, c’est que cela lui était nécessaire : « Je n’arrivais pas à être au repos avec ce qu’il se passait au Kurdistan. Je voulais soutenir la lutte. » Au delà, « nous essayons de montrer qu’il existe d’autres solutions que de prendre les armes. C’est un combat idéologique avant tout ».
Entre la Place de la Bastille et celle de la République, les couleurs du Kurdistan se sont mêlées aux slogans : « Leur silence, nos morts », « Erdoğan massacre les Kurdes, l’Europe regarde », « La résistance c’est la vie », ou encore, « L’État turc massacre les Kurdes avec des armes européennes. Réagissez ! ». Pour les militants de la cause Kurde, la complaisance de l’Union européenne relève de l’insoutenable. Près de trois cent civils auraient déjà perdu la vie. Difficile d’obtenir des chiffres précis, ni même savoir ce qu’il se passe vraiment dans l’est de la Turquie. « A Cizre, vingt-quatre personnes sont bloquées dans le sous-sol d’un immeuble effondré, assure Fidan, et les secours sont empêchés par les forces de sécurité. Dans la ville, il n’y a plus ni eau, ni électricité… »
Le 31 janvier, l’écrivain turc Orhan Pamuk a lui aussi dénoncé le silence de l’UE. Dans un entretien, le prix Nobel de littérature en 2006, affirmait : « Les Européens ont oublié toutes leurs valeurs. Je suis du genre à dire : parlons uniquement de littérature. Mais ce n’est plus possible. »
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