Notre-Dame-des-Landes : une « grandiose arnaque » à 700 millions d’euros
Les élus opposés au projet de nouvel aéroport, au nord de Nantes, viennent de mettre à jour une splendide manipulation chiffrée destinée à en étayer l’intérêt économique.
Depuis des années, les tenants du projet d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes s’évertuent à changer d’arguments pour justifier leur lubie : développement régional, prestige, emplois, atténuation du bruit sur Nantes, etc. L’un d’entre-eux résistait encore depuis le début : construire Notre-Dame-des-Landes serait économiquement plus avantageux que de mettre à niveau l’actuel équipement de Nantes-Atlantique.
Depuis 2014, les opposants au nouvel aéroport ont cependant effectué un énorme travail d’expertise, notamment au travers d’ateliers citoyens, pour démentir point par point toutes les tares dont a opportunément été affublé celui de Nantes-Atlantique (notamment dans les écrits de la Direction générale de l’aviation civile, DGAC), dans le but de faire reluire la solution « Notre-Dame-des-Landes ».
Pour aller plus loin, les opposants réclamaient depuis 2011 les documents qui sous-tendent l’étude « coût-bénéfice » réalisé par la DGAC, et qui font ressortir au profit de Notre-Dame-des-Landes un confortable gain de 911 millions d’euros pour les usagers, alors que l’aéroport ne coûterait pas plus de 600 millions d’euros (montant par ailleurs considéré comme optimiste par les opposants).
Quelles hypothèses permettent de faire pleuvoir cette manne ? Impossible de le savoir pendant près de cinq ans, car l’administration faisait la morte. Jusqu’à fin janvier : après avoir actionné avec pugnacité la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), le collectif des élus opposés (Cédpa) a enfin obtenu enfin les pièces manquantes.
Stupéfaction, grandiose arnaque !, s’exclame Françoise Verchère, co-présidente du Cédpa et qui vient de publier « Notre-Dame-des-Landes, la fabrication d’un mensonge d’État ». Nous avons enfin touché le cœur de l’affaire, et c’est digne de la science-fiction !
Voici le détail de la petite cuisine chiffrée qui permet de justifier à façon l’intérêt économique de Notre-Dame-des-Landes, selon une méthode d’ajustement de paramètres que l’on imagine aisément généralisable pour toutes sortes de projets un peu complexes.
1- Plafonner le potentiel de Nantes-Atlantique. l’actuel aéroport ne pourrait pas dépasser 56 000 mouvements aériens par an (49 000 en 2015), en raison des limitations imposées par le plan d’exposition au bruit de la ville de Nantes. Sans même tenir compte des solutions proposées par les ateliers citoyens, et qui découlent de pratiques courantes sur d’autres aéroports (techniques d’approche des avions, etc.), ce calcul a été contesté par le bureau d’études indépendant Adecs Airinfra consulté par les opposants, qui parviennent à un plafonnement double, en considérant les évolutions technologiques actuelles.
2- En déduire des reports de clientèle sur les aéroports voisins. Nantes-Atlantique « saturé », un certain nombre de candidats au transport aérien iraient chercher à embarquer à Brest-Lorient, Dinard, La Rochelle ou Rennes.
3- Chiffrer confortablement ces déports. Pour cette clientèle, l’inconvénient de ne pas pouvoir prendre l’avion à Nantes-Atlantique se traduirait par une quantité d’« heures perdues », plus ou moins importante selon les services proposés par les aéroports régionaux, et pour un taux de voyageurs touché bien arrangeant, puisque le montant monnétarisé de ces heures perdues s’élève, selon le document de la DGAC, à 699 millions d’euros. Perte qu’annulerait la construction de Notre-Dame-des-Landes — c’est donc un « gain » pour le projet, et même un énorme, puisqu’il représente 75 % de ses avantages économiques (d’un total de 911 millions) ! Les choses étant bien faites, ces heures perdues « air » ont une valeur (standardisées par des normes officielles) supérieure aux heures perdues « train » et « route », postes sur lesquels Notre-Dame-des-Landes perd du terrain sur Nantes-Atlantique, plus proche du bassin nantais. Le cabinet indépendant CE Delft, consulté par le Cédpa, s’interroge sur le niveau d’opacité qui subsiste dans les calculs de la DGAC : d’où découlent les montants retenus pour ces « heures perdues », qui débouchent de tels gains de temps aérien ?
Dans cette dernière livraison de documents jusque-là inaccessibles, le Cédpa relève également une brassée d’incohérences (sans parler d’erreurs de calcul dignes du niveau élémentaire) sur des paramètres tels que le coût éventuel du réaménagement de la piste de Nantes-Atlantique, le taux de densification urbaine permise par l’abandon de Nantes-Atlantique, etc.
De quoi dynamiter la dernière redoute des pro-Notre-Dame-des-Landes. Mais ce dernier décorticage, et sur le terrain économique, aura-t-il le pouvoir de mettre à bas le projet ? On peut pourtant en douter, tant le dossier à charge aurait déjà dû y parvenir depuis des années déjà, lesté qu’il est d’excellentes pièces à conviction. Depuis longtemps, les opposants constatent que la multiplication des arguments techniques n’y fait rien, ce qui démontre à l’envi que le projet de Notre-Dame-des-Landes n’est supporté que par une décision politique, scellée de longue date entre des élus locaux et le gouvernement, de gauche comme de droite.
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