Fukushima: cinq ans de mensonges et de désinformation
Dans le département sinistré, les habitants réclament des informations fiables et l’arrêt définitif des six réacteurs encore en état dans leur région
Il pleut depuis plusieurs jours sur les villages et les petites villes qui bordent la zone toujours interdite du département de Fukushima. Et il pleut aussi sur les hameaux de réfugiés ou des couples âgés ou des parents avec de jeunes enfants ne savent toujours pas de quoi leur avenir sera fait. D’autant plus que toutes les aides officielles doivent irrévocablement cesser en mars 2017. Ils sont des dizaines de milliers à vivre dans ces hébergements provisoires de deux pièces confortables mais exigus pour des familles.
Les enfants jouent et s’ennuient dans les rues des villages de réfugiés.
Bien que le responsable de la réparation de la centrale de Fukushima ait avoué publiquement, le 20 décembre, qu’il était dans l’incapacité de prévoir quel serait le coût de la mise en sécurité des installations, et de fixer une date pour que les réacteurs fondus cessent de menacer la santé des salariés de l’entreprise, les habitants de la région restent privés d’informations fiables alors que les bâtiments accidentés continuent à contaminer les sous sols, les eaux et l’atmosphère.
Naohiro Masuda avait ajouté ignorer si, quand et comment ses nouveaux robots pourraient explorer les débris des réacteurs fondus pour faire le point sur la réaction qui se poursuit en dégageant une chaleur d’environ 100°. Il a également reconnu faire face à une véritable « zone de guerre ». Toutes déclarations qui contrastent avec les affirmations du gouvernement répétant que la situation est entièrement sous contrôle. Ce responsable de la Tepco, la société propriétaire de la centrale, a précisé que les ingénieurs ne savaient même pas où se trouvent les débris des réacteurs, ni comment il sera un jour possible de les extraire. Il ignore également si les travaux nécessaires pourront être commencés avant une dizaine d’années. Avec cette précision :
Une nouvelle science devra être inventée pour commencer le nettoyage et il faudra pour cela faire face aux risques courus par les salariés et l’environnement.
Situation difficile à quantifier car une bonne moitié des capteurs automatiques alimentés par des cellules photovoltaïques, dans la région et dans la centrale, sont en panne ou fonctionnent de façon aléatoire.
La réunion qui a attiré 1.500 personnes, le 10 février à Iwaki, près de la zone interdite, a passé en revue les mensonges et les silences des responsables de la Tepco et du gouvernement depuis cinq ans. Les habitants réunis ont exigé que les six réacteurs en fonctionnement dans le département soient définitivement mis hors-service. Alors que le pouvoir japonais veut les relancer pour qu’ils puissent participer à l’alimentation en électricité des Jeux olympiques d’été prévus à Tokyo du 24 juillet au 9 août 2020. Pourtant, à son corps défendant, le pays a fait la preuve depuis 2011 qu’il pouvait se passer de la production des 44 réacteurs encore à l’arrêt sur les 54 en fonction au moment de l’accident, certains ayant été définitivement mis hors service pour « défauts de sécurité ».
L’un des groupes de paroles régulièrement réunis dans la ville d’Hirono où l’on aide les gens à se libérer de leurs angoisses.
La conférence d’Iwaki a aussi souligné que la région restait menacée par les 24 millions de tonnes de déchets radioactifs entassés dans la campagne, en zone interdite comme à l’extérieur, sous des bâches et dans des sacs. Stockage qui génère des émanations dangereuses et l’entrainement de la radioactivité vers les cours d’eau et la mer. Sans oublier que les camions et engins de chantiers fortement contaminés continuent de s’entasser dans l’enceinte de la centrale accidentée. Ni que les bâtiments explosés restent hors d’atteinte des spécialistes en raison de la très forte radioactivité qui en émane, interdisant toujours une intervention qui permettrait de les recouvrir d’un sarcophage limitant les conséquences des dégâts. Guère étonnant donc que les habitants de la région soient peu nombreux à regagner les quelques petites villes et villages dont l’accès est à nouveau autorisé. Refus qui se double d’une méfiance envers les produits agricoles de la région, qu’il s’agisse des légumes, des fruits ou des poissons : ils n’ont aucune confiance dans les contrôles effectués par des inspecteurs gouvernementaux. Et déplorent qu’une autorité de contrôle indépendante n’ai jamais été mise été mise en place.
Autant de réalités qui viennent en totale contradiction avec les propos rassurants et les mensonges proférés par des responsables de la centrale lors de la visite des installations et de la région par Politis à la fin du mois de septembre dernier. La présence sur le chantier du personnel protégé par des combinaisons spéciales et des masques, tout comme l’abandon sur place de centaines de voitures et d’engins de chantiers fortement contaminés, rappellent au visiteur, qui n’a pas le droit de s’équiper d’un appareil de mesure de la radioactivité, à chaque pas les dangers cachés qui hantent les lieux….
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