« Sur le nucléaire, on est dans une schizophrénie complète »
Un arrêté pourrait permettre de déroger aux règles de sureté nucléaire. Deux associations environnementales ont déposé un recours pour obtenir son annulation. Entretien avec Marie Toussaint, présidente de Notre affaire à tous.
En France, la sureté des centrales nucléaires est de nouveau au centre des inquiétudes. Son parc nucléaire est pointé du doigt par nos voisins suisses et allemands. Après la plainte de Genève contre le « danger » des installations « vétustes » à Bugey (Ain) puis celle, vieillissante, de Cattenom (Moselle) par les Verts allemands, Fessenheim a elle aussi été la cible des médias germaniques. Berlin exige la fermeture le « plus vite possible » du plus vieux site nucléaire français. Dans le même temps, le gouvernement envisage de prolonger d’une décennie la durée de vie des centrales.
L’arrêté visé par Notre affaire à tous, et Le Comité de réflexion d’information et de lutte anti-nucléaire (Crilan), ne risque pas de faire disparaitre les crispations sur la sûreté nucléaire. Publié discrètement dans le Journal Officiel le 3 janvier et datant du 30 décembre 2015, il permettrait de passer outre des « obligation essentielles de sécurité » dans les centrales nucléaires. Grâce à cet arrêté, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pourrait valider la déclaration d’anomalies relatives à la sureté d’un site, comme c’est le cas à Flamanville. Et ce, même si elle ne répond aux exigences de sécurité de l’Union Européenne. C’est en tout cas ce qu’affirment les deux associations, dans un communiqué annonçant leur action en justice.
Marie Toussaint, présidente de l’association Notre affaire à tous, explique ses inquiétudes quant aux risques que pourraient entraîner un tel arrêté, et quelles sont les revendications des deux associations exprimées par ce recours.
Pourquoi êtes vous inquiets ? Qu’est-ce que change cet arrêté pour la sûreté des centrales nucléaires ?
Marie Toussaint : C’est surtout l’article 9 de cet arrêté qui indique que pourront être établies des déclarations de mesures dérogatoires aux normes de sécurité actuelles. Le constructeur ou l’exploitant nucléaire peut donc indiquer à l’ASN que leur installation ne répond pas aux mesures de sécurité. Le problème, c’est que si la demande de dérogation est validée par l’ASN, il n’y aurait alors plus de problème pour construire des établissements sous pression nucléaire qui sont en deçà des mesures de sécurité obligatoires. Ce dispositif, s’il est validé, devrait permettre de lever la responsabilité de ceux qui devraient l’avoir. S’il y a des défauts reconnus dans la cuve de l’EPR, on ne pourra plus, juridiquement parlant, tenir pour responsable leur fabriquant et/ou exploitant. C’est très inquiétant. Après l’explosion de Fukushima au Japon, des défauts de sûreté dans les cuves de la centrale ont été reconnus, et déclarés auprès de l’équivalent japonais de l’ASN. Des dispositions ont alors été prises, parallèles à celles prises avec cet arrêté en France. L’autorité de sureté nucléaire et le gouvernement japonais avaient déclaré qu’ils n’étaient pas aux meilleures normes de sécurité, mais que ce n’était pas grave.
Qu’est-ce qui vous inquiète avec Flamanville ?
L’ASN a détecté de graves dysfonctionnements parmi les pièces les plus importantes de l’EPR de Flamanville. Normalement, en cas d’anomalies, on est censé les réparer. Or, c’est à ces normes de sûreté que l’arrêté rendrait possible de déroger. Avec cette cuve construite avec de graves anomalies, nous craignons des émissions de carbone particulièrement nocives. Cet établissement est toxique et peu sûr pour le nucléaire. Pourtant, un établissement nucléaire de 4e génération, s’apprête à y être construit. C’est censé être le fleuron de l’industrie nucléaire français mais en fait, au vu des anomalies détectées, il pourrait exploser à tout moment.
Comment contestez-vous juridiquement cet arrêté ?
Dans un premier temps, on s’appuie sur une directive européenne datant de juin 2014, avec laquelle on compte bien contrevenir à cet arrêté. Cette dernière demande l’harmonisation des normes au niveau européen concernant les équipements sous pression nucléaire. Normes auxquels le droit français répond dans la loi, mais pas avec cet arrêté qui donne l’autorisation de mesures dérogatoires. Celles-ci contreviennent au principe de précaution et à celui de prévention, tous deux reconnus dans le droit international, pour garantir le plus haut niveau de sûreté. Il y a déjà eu plusieurs jugements qui disent que l’on peut effectivement déroger aux mesures rendues obligatoires dans la loi, mais seulement si on prend les meilleures techniques disponibles. Non pas des mesures qui s’avèrent moins sûres que celles déjà inscrites dans la loi. Avec les anomalies graves déclarées pour le réacteur nucléaire (EPR) de Flamanville, auquel cet arrêté a l’air de s’adresser directement même s’il ne le dit pas explicitement, on est dans le non-respect de ces principes de précaution et de prévention.
Les mesures obligatoires prévues par l’Union Européenne ont une obligation de résultat. Or dans ce cas précis, il ne s’agit pas de résultat, mais d’une possibilité de passer outre des mesures de sécurité obligatoires, avec autorisation de l’Autorité de sûreté nucléaire.
La justice est-elle le meilleur moyen de lutter contre les dérives des parcs nucléaires ?
C’est par la Justice que l’on peut protéger les citoyens aujourd’hui. Lorsque l’État décide lui même de passer au delà des obligations minimales de sécurité, il est du devoir du juge d’assurer la bonne gestion de ces établissements sous pression nucléaire. On compte sur la Justice pour faire respecter le droit international en vigueur, et les droits humains.
Considérez-vous que l’État met les citoyens dans une situation d’insécurité ?
L’État doit assurer la sécurité de ses citoyens. D’autant plus lorsqu’il est actionnaire majoritaire du nucléaire et qu’il décide d’avoir une politique offensive du développement de cette énergie. Il est censé être responsable de protéger ses citoyens contre tout type d’accident. Quand on connaît les meilleures techniques disponibles et qu’on dispose d’une compétence en matière de nucléaire, décider de passer l’éponge sur le non-respect des mesures de sécurité, cela revient clairement à être responsable de la mise en danger des citoyens.
Il y a en France d’excellents juristes sur la question environnementales, régulièrement invités dans les ministères, pour défendre un meilleur droit de l’environnement. Or, ce qu’on constate, c’est que le gouvernement marche sans arrêt sur des principes essentiels, comme avec la remise en cause du principe de « préjudice écologique ». En matière de nucléaire, le gouvernement parle de réduire la part du nucléaire à 50% dans le mix énergétique français. Mais en parallèle, il prolonge la durée de vie des centrales, contre toute indication en matière de sécurité. Ce que font d’ailleurs valoir nos voisins suisses et allemands. Le gouvernement affirme vouloir une très grande sécurité nucléaire, mais lorsque l’ASN réclame 200 postes de plus pour assurer son rôle, il ne lui en accorde que 30. Il s’acharne à vouloir protéger les intérêts des lobbies du nucléaire, tout en tenant un discours sur la réduction de la part de l’atome, et d’un changement de modèle énergétique. On est dans une schizophrénie complète.
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