L’inquiétante musique de Manuel Valls
Dans un essai documenté, Noël Mamère et Patrick Farbiaz décortiquent le néoconservatisme incarné par le Premier ministre et appellent la gauche à reprendre la bataille culturelle.
dans l’hebdo N° 1403 Acheter ce numéro
Durant la campagne présidentielle de 2007, Manuel Valls avait soutenu Ségolène Royal et son slogan de « l’ordre juste ». Mais, quatre ans plus tard, dans la course de la primaire à gauche fin 2011, le futur Premier ministre de François Hollande trouvait le programme de son ancienne championne empreint d’un dangereux gauchisme. « Je veux, martelait-il, dans le livre qu’il venait de publier [^1], réhabiliter l’ordre en tant que tel, dans ses vertus structurantes et libératoires pour l’individu. Non pas “l’ordre juste”, mais “juste l’ordre”. » Et le prétendant de se revendiquer d’une fière lignée de « républicains » qui, de Bonaparte à Adolphe Thiers, de Clemenceau à Jules Moch, ont contribué à « réinstaller l’ordre et l’autorité dans leurs vertus premières ». Pour ce qui est de l’ordre, Thiers, avec près de 30 000 ouvriers parisiens tués à la fin de la Commune, s’y entendait… En guise de programme, Manuel Valls tenait à préciser : « Le défi pour la France sera de renforcer chaque maillon de la chaîne d’autorité : l’individu, la famille, l’école, la police, la justice, l’État, l’Europe et, en dernier lieu […], le président de la République. » On a sans doute échappé au travail et à la patrie.
Militants écologistes de longue date, le député Noël Mamère et Patrick Farbiaz, l’initiateur de la Semaine anticoloniale, tous deux en rupture de ban avec EELV, poussent aujourd’hui dans ce Contre Valls (après leur Contre Zemmour, en 2014, chez le même éditeur) un salvateur « coup de gueule » à l’encontre du Premier ministre. Mais ce « pamphlet » aussi bienvenu que sérieux ne se contente pas de recenser les coups de menton et autres sorties hallucinantes d’un homme qui a de plus en plus de mal à se dire lui-même de gauche. L’ouvrage s’emploie à analyser sa politique et ses filiations idéologiques, en montrant avec rigueur comment « le néoconservatisme » incarné par l’ancien maire d’Évry « gagne la gauche ». Car à Matignon, d’une contre-réforme néolibérale à l’autre, celui-ci « déstabilise » la gauche, tout en ne cessant « d’accompagner l’offre sécuritaire », véritable « capitulation en rase campagne » du point de vue idéologique. En particulier depuis les attentats de novembre 2015, où Valls se fait le chantre d’une « guerre culturelle [qui] prend automatiquement pour référence l’identité », ce « nouveau paradigme et poison de ce début de siècle ».
Pour autant, Mamère et Farbiaz ne se contentent pas de dénoncer : avec cette « réponse aux néoconservateurs », ils appellent aussi la gauche, la vraie, à aller plus loin en proposant « un nouveau récit » qui puisse démonter la manipulation « identitaire » et « occidentaliste ». Et à reprendre la « bataille culturelle », puisque finalement, entre mouvement social, Nuit debout et autres ZAD, « les idées d’autonomie, de commun, de cosmopolitisme, d’écologie sociale n’ont jamais été aussi vivantes ».
[^1] Sécurité. La gauche peut tout changer, Éd. du Moment, 2011. Tout un programme pour ce manifeste d’un candidat à la primaire dont le score resta à un seul chiffre…