Notre-Dame-des-Landes : La bataille des arguments

Un méticuleux travail de contre-expertise a permis de prouver l’inutilité du « transfert » de l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique en pleine zone protégée.

Erwan Manac'h  • 6 juillet 2016 abonnés
Notre-Dame-des-Landes : La bataille des arguments
© Photo : LOIC VENANCE/AFP.

C’est un trésor un peu ardu à explorer, mais il recèle une intelligence collective hors du commun. En huit ans de lutte, plusieurs collectifs de citoyens ont produit leur propre expertise pour répondre aux arguments des défenseurs du projet. Sur le plan économique, l’architecture, la protection de l’environnement ou la pertinence des choix urbanistiques, ils ont fourni un énorme travail pour démontrer l’illégitimité de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Comme souvent dans ce type de projet, une pluie de chiffres a été déversée pour noyer le débat sous un torrent de pseudo–rationalité. La Direction générale de l’aviation civile (DGAC), soutien inconditionnel d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, a notamment fait valoir que le « transfert » permettrait de dégager 911 millions d’euros « d’avantages ». Une somme rondelette, qui équivaut au double du prix de l’aéroport estimé par AGO, la filiale de Vinci (446 millions d’euros). Et ce sont les services de l’État qui le disent !

C’était compter sans l’opiniâtreté d’un collectif d’élus opposés au projet, le Cédpa, qui s’est offert les services d’un cabinet indépendant spécialiste du secteur aérien, CE Delft, pour révéler le caractère fantaisiste de ce chiffrage. Il s’avère que, pour atteindre cette somme pharaonique, la DGAC a converti en euros un gain de temps théorique pour les passagers ! L’administration part de l’idée que la saturation de l’actuel aéroport contraint les passagers à faire de la route pour aller prendre leur avion ailleurs. Ces « heures perdues » sont évaluées en espèces sonnantes et trébuchantes, et mises au crédit du futur aéroport. Une arnaque à 699 millions d’euros !

Secundo, la rénovation nécessaire de l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique pour faire face à une hausse du trafic a été grossièrement surévaluée, afin de soutenir l’idée qu’elle serait plus chère que la construction d’un nouvel aéroport. Deux architectes se sont penchés sur ce dossier à partir de 2014. Ils ont réuni, au sein de l’association Atelier citoyen, 120 personnes – ingénieurs d’Aéroports de Paris, urbanistes, anciens pilotes de ligne, paysagistes, économistes, patrons, syndicalistes et riverains. Après avoir tout repris de zéro, l’association divise par trois la facture et révèle les ficelles utilisées par la DGAC dans son étude de 2013.

Une opposition qui monte, qui monte

  • Déc. 1973 création de l’association d’agriculteurs locaux Adeca.

  • Nov. 2000 création de l’Acipa, association de citoyens (3 500 adhérents, 50 000 signataires).

  • Sept. 2003 création de la Coordination des opposants (plus de 50 organisations).

  • 3-9 août 2009 camp « action climat » sur le site.

  • Nov. 2009 création du Cédpa, association d’élus (un millier).

  • Juil. 2011 création du Copain 44, avec des agriculteurs du département et au-delà.

  • Été 2011 rassemblement de politiques opposés (EELV, PG, Ensemble!…) sur le site : C. Autain, M. Billard, J. Bové, C. Duflot, E. Joly, N. Hulot, etc.

  • 11 avr. au 8 mai 2012 grève de la faim d’habitants sous le coup d’une expulsion.

  • 17 nov. 2012 manifestation « de réoccupation » de la ZAD (40 000 personnes) après l’opération d’évacuation César.

  • Avr. 2013 mobilisation « Sème ta ZAD» des occupants pour multiplier les cultures.

  • 22 fév. 2014 grande manifestation à Nantes (50 000 personnes, 520 tracteurs), entachée de violences.

  • 9 janv. 2016 plus de 25 000 personnes bloquent le périphérique nantais

  • 27 fév. 2016 plus de 50 000 opposants bloquent les quatre-voies Nantes-Vannes et Nantes-Rennes.

  • 26 juin 2016 consultation des électeurs de Loire-Atlantique. Globalement minoritaire (45 %), le « non » fait désormais jeu égal avec le « oui » dans l’agglomération nantaise.

Ainsi, l’administration prévoit une multiplication par quatre de la surface existante de l’aérogare, pour atteindre une surface supérieure de 44 % à celle prévue à Notre-Dame-des-Landes, pour la même capacité de passagers. Autre stratagème destiné à gonfler le coût d’un éventuel aménagement de l’aéroport actuel : la DGAC a considéré qu’il fallait détruire puis reconstruire un chenil pour les trois chiens des équipes de sécurité, pour un coût total de… 602 000 euros.

L’Atelier citoyen conteste aussi la nécessité de reconstruire entièrement la piste actuelle. Or, l’État refuse de faire expertiser les sols, un moyen pourtant simple de clore le débat sur ce point crucial.

Tertio, les emplois. L’Atelier citoyen démontre que le « transfert » de l’aéroport ne fera que déplacer les 1 800 emplois liés à l’actuel aéroport (au grand dam de la CGT locale) sans en créer de nouveaux. Il faut en revanche compter les 47 exploitations agricoles évacuées, soit « l’un des principaux bassins laitiers du département » et les 200 emplois indirects, selon l’association d’opposants Acipa. Les défenseurs du projet d’aéroport, quant à eux, entendent créer des emplois en favorisant l’intensification du trafic aérien. Un objectif pas vraiment en phase avec les enjeux climatiques actuels.

La ville de Nantes a-t-elle besoin d’un aéroport à deux pistes de la taille de celui -d’Heathrow, à Londres, premier d’Europe et traitant 70 millions de passagers, alors qu’elle possède déjà un aéroport ? La réponse des collectifs citoyens est négative. Car la saturation présumée du trafic de l’actuel aéroport n’est pas avérée. Le nombre de passagers connaît effectivement une forte augmentation, du fait de l’explosion du marché du low-cost. Mais elle n’est pas proportionnelle à l’augmentation du nombre de « mouvements commerciaux » (atterrissages et décollages). Car les avions sont plus gros et mieux remplis.

C’est ce qui fait dire à l’ancien directeur des aéroports à Air France, Jacques Bankir, que le projet est « totalement inutile, absurde et ridicule ». La preuve que Nantes–Atlantique n’est pas obsolète, selon lui : « Bien des aéroports vivent avec une seule piste et en tirent quatre à cinq fois le trafic espéré à Nantes dans vingt ans : San Diego, Gatwick, Lisbonne, Genève. »

Et le bruit, alors ? Le plan anti-bruit qui accompagne l’actuel aéroport restreint fortement la construction de logements sur 2 % du territoire de l’agglomération. Le Cédpa a sollicité un cabinet indépendant, Adecs Airinfra, consultant européen reconnu dans le domaine aéroportuaire, pour plancher sur cette question cruciale. Selon son étude, le plan actuel est surdimensionné et les prospections ont été menées sur la base d’hypothèses de trafic fantaisistes, ne prenant pas en compte le renouvellement des avions, aujourd’hui moins bruyants. En outre, les nuisances sonores pourraient être rapidement réduites par une modification de la trajectoire d’approche, assure l’Atelier citoyen, qui fournissait en mars 2016 une étude détaillée sur le sujet.

Par-dessus tout, le projet de Notre-Dame-des-Landes soulève d’importantes inquiétudes en matière de protection de la nature. Préservée de tout aménagement depuis cinquante ans dans la perspective de la construction de l’aéroport, l’aire choisie, une zone humide, a connu l’éclosion d’une biodiversité riche et originale.

En janvier 2013, le collectif Naturalistes en lutte [^1] a réuni 200 spécialistes de tous les types d’espèces et de milieux. Des scientifiques, membres d’associations de protection de l’environnement ou simples passionnés. Ils ont commencé un inventaire méticuleux de la zone. La ZAD est désormais « une des zones les mieux inventoriées de France, au point que certains spécialistes ont trouvé des espèces qu’on n’avait jamais observées en France », assure François de Beaulieu, membre du collectif. Un trésor de « science citoyenne » qui se prolonge aujourd’hui par un accompagnement des habitants de la zone pour prendre soin de la richesse des lieux.

Les Naturalistes en lutte contestent aussi la méthode de compensation du plan de déplacement des espèces protégées. Au moins cinq espèces protégées auraient été oubliées des inventaires et, « sur 130 espèces protégées, seuls quelques individus de trois espèces seraient déplacés, uniquement à titre expérimental et sans fondement scientifique », déplorent les naturalistes.

Mises bout à bout, toutes ces contre-expertises pèsent lourd contre le projet. « Le conflit a entraîné une mobilisation de l’intelligence collective stupéfiante », s’émerveille Françoise Verchère, coprésidente du Cédpa et ancienne maire PG de Bouguenais (voir portrait p. 21), la commune de l’actuel aéroport. Elle a pourtant été balayée d’un revers de la main par l’État, qui conserve un silence assourdissant sur les incohérences et les manipulations démontrées par les expertises citoyennes. « C’est une faillite intellectuelle partagée par les élites », gronde Françoise Verchère.

Début avril, trois inspecteurs missionnés par Ségolène Royal, ministre de l’Environnement, recommandaient que la taille du projet soit revue ou qu’une étude sérieuse soit menée pour la rénovation de l’actuel aéroport. Manuel Valls a préféré s’en laver les mains en organisant une consultation des habitants de Loire-Atlantique sur la base du premier projet, à deux pistes et avec une emprise de 1 650 ha. Et ce, bien sûr, au nom de la démocratie participative.

[^1] https://naturalistesenlutte.wordpress.com/

Écologie
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Notre-Dame des résistances
Temps de lecture : 7 minutes

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