Écrivains et têtes de Turcs
La romancière Asli Erdogan est on ne peut plus turque et pourtant en prison.
dans l’hebdo N° 1418 Acheter ce numéro
Comme chacun sait, tout n’est pas toujours vrai de vrai sur les réseaux sociaux. Ainsi, ce week-end, a circulé cette nouvelle selon laquelle Shakespeare, Tchekhov, Goldoni et tutti quanti n’avaient plus droit de cité dans les théâtres d’État en Turquie. La censure serait intégrale. Les pièces d’auteurs non turcs auraient été déprogrammées, alors que la saison théâtrale débute le 4 octobre, laissant
la place entièrement libre aux dramaturges nationaux. La réalité n’est pas tout à fait celle-ci. Les pièces de Shakespeare, et celles de ses confrères aussi métèques que lui, inscrites au programme de la rentrée des théâtres publics, en ont bien été retirées. Et on leur a substitué des œuvres en turc massif. Mais les auteurs cosmopolites viendront dans un second temps au cours de la saison.
Comme toute mesure nationaliste, cette décision d’uniformiser la rentrée avec de l’artiste local est absurde. Mais d’éradication de l’étranger, il n’y a point. Cela dit, il ne faut pas non plus se méprendre sur l’attachement du régime de Recep Tayyip Erdogan à ses écrivains.
La romancière Asli Erdogan (qui n’a aucun lien de parenté avec le précédent) est on ne peut plus turque et pourtant en prison depuis son arrestation le 16 août dans le mouvement de répression qui a suivi la tentative de coup d’État. Traduite dans plusieurs langues, en français chez Actes Sud (Les Oiseaux de bois, Le Bâtiment de pierre), Asli Erdogan est une excellente ambassadrice pour la littérature de
ce pays.
Mais l’impudente ose se mêler de droits de l’homme. « J’ai le sentiment d’oppression enraciné en moi », a-t-elle écrit dans un texte autobiographique d’une très grande force, qu’on a pu entendre sur France Culture. Accusée d’« appartenance à une organisation terroriste » et de « trouble à l’ordre public » pour avoir publié dans Özgür Gundem, un journal à petite diffusion,
des éditoriaux en faveur de la cause kurde, elle est aujourd’hui toujours incarcérée après le rejet de son recours en justice, lundi. Une pétition internationale exigeant sa libération recueille des dizaines de milliers de signatures. Au fond des geôles d’un régime toujours plus autocratique, Asli Erdogan est en train de devenir un symbole. Un symbole qui est d’abord
une femme de talent et de courage.
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