Monsanto-Bayer : « C’est un empoisonneur qui achète un autre empoisonneur »
L’industriel allemand Bayer a annoncé le 14 septembre le rachat de l’américain Monsanto pour la somme astronomique de 59 milliards d’euros. Arnaud Apoteker, coordinateur du « Tribunal Monsanto » et spécialiste des OGM, commente cette fusion de deux géants de l’agrochimie.
Pour quelles raisons Bayer souhaite-t-il racheter Monsanto ? Est-ce une surprise ?
Cet accord est loin d’être une surprise majeure puisque cela se négocie depuis des mois entre ces deux compagnies. Et cela s’inscrit également dans une tendance continue depuis des décennies. À partir des années 1970, nous sommes entrés dans une sorte de course au gigantisme notamment pour des questions commerciales et de capacités de recherches. Monsanto a d’ailleurs tenté de racheter Syngenta, qui a décliné son offre et qui est aujourd’hui en cours d’acquisition par le géant chinois ChemChina. Monsanto est donc passé du statut de candidat au gigantisme à la position de proie. Autre élément important : les brevets. Lors de ces opérations, ils achètent également tous ceux toujours en cours. Et Monsanto a besoin d’augmenter son portefeuille de brevets dans l’agrochimie depuis que son produit phare, le Roundup [un herbicide, NDLR], est rentré dans le domaine public.
Marches mondiales contre Monsanto, « Tribunal Monsanto »… Les actions de la firme sont régulièrement critiquées et pointées du doigt. Ce rachat peut-il être considéré comme l’occasion de profiter de la meilleure réputation de Bayer ?
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Si Bayer a une meilleure image pour le grand public, dans le fond, ce n’est pas le cas. Il a eu moins de succès que Monsanto dans les plantes OGM mais il vend des produits tout aussi toxiques, notamment les néonicotinoïdes « tueurs d’abeilles », et a recourt aux mêmes pratiques de lobbying. Il existe depuis des années une coalition d’associations qui dénonce les dégâts causés par Bayer, présentes aux assemblées générales de la société. C’est vrai que Bayer est moins grand public et moins emblématique, mais pour moi, cela reste un empoisonneur qui achète un autre empoisonneur.
Quelles seront les conséquences concrètes de ce « mariage infernal » pour l’agriculture ?
C’est une accélération considérable de la perte de la biodiversité alors que nous avons déjà perdu 75% de notre biodiversité agricole en un siècle. Des compagnies seront encore plus puissantes pour promouvoir un modèle d’agriculture basé sur la monoculture donc le choix sera beaucoup plus réduit pour les agriculteurs. Ce monopole est extrêmement regrettable de mon point de vue et cela devrait être un signal d’alarme pour les paysans du monde entier qui leur diraient : « Vous ne devez pas rester poings et pieds liés à ces sociétés, il faut regagner votre autonomie ! »
Cent treize prix Nobel – dont quatre Français – ont signé une lettre pour demander aux leaders de Greenpeace de cesser leurs campagnes anti-OGM, notamment contre le riz doré qui pourrait être une solution à la malnutrition. Comment percevez-vous cette demande ?
J’ai été totalement surpris qu’autant de prix Nobel signent cette lettre, également adressée aux gouvernements et aux Nations unies. Des personnes, qui ont sans doute travaillé dans la chimie ou la biologie moléculaire, ont réussi à convaincre ces prix Nobel que les OGM sont une solution pour lutter contre la faim dans le monde. Et ces derniers ont certainement accepté car c’est un autre prix Nobel qui les a sollicité, malgré leur manque de connaissances sur le sujet. Le riz doré est un excellent alibi pour ceux qui connaissent peu le domaine car il apparaît comme un OGM humanitaire. Or, même les scientifiques qui travaillent dessus reconnaissent qu’il n’est pas encore au point et on ne sait même pas s’il apportera la dose suffisante de vitamine aux personnes qui le consommeront.
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