Turquie : Après le coup d’État avorté, la mort de la démocratie
Alors qu’une purge sans précédent continue d’ébranler le pays, le gouvernement légitime ses dérives. Armé d’un régime exceptionnel proclamé au lendemain de la tentative de coup d’état, celui-ci ne cesse d’emprisonner, de destituer ou d’intimider tous ceux qui pourraient entraver l’autoritarisme grandissant du président Recep Tayyip Erdoğan.
Dimanche 11 septembre, alors que le pays se prépare à la fête du sacrifice, «Kurban Bayrami » en turc, les autorités « ont envahi vingt huit municipalités » et mis « la main sur leur administration ». Partagé par le Conseil exécutif central du Parti démocratique des peuples (HDP), le récit de cette attaque laisse un goût amer aux opposants politiques d’Erdoğan :
Il n’y a aucune différence entre ceux qui ont lancé des bombes sur l’Assemblée nationale le 15 juillet dernier et ceux qui, aujourd’hui, ont pris d’assaut les Mairies et déclaré en hurlant mettre la main sur l’administration municipale, au mépris total de la démocratie et de la volonté populaire.
Contraints de laisser leurs sièges, les élus municipaux sont accusés par le gouvernement d’entretenir des liens avec des organisations terroristes. Vingt-quatre maires ont ainsi été destitués pour des liens supposés avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), issus, pour la plupart, de communes se trouvant à l’est de la Turquie, largement ciblé depuis la fin du cessez-le-feu, il y a plus d’un an. (1)
Soupçonnés d’entretenir des liens avec le mouvement de Fethullah Gülen, l’ex-prédicateur considéré par les autorités comme l’instigateur de la tentative de coup d’État qui a secoué le pays le 15 juillet dernier, quatre autres élus ont également été éjectés de leurs sièges.
État d’urgence « illicite »
Proclamé au lendemain de ce putsch avorté, l’état d’urgence en Turquie permet tout. Faisant fi des dispositions prévues par la Constitution, le HDP précise que les vingt-huit maires ont pu être relevés de leurs fonctions grâce au « décret permettant la désignation d’administrateurs à la tête des mairies », précisant que ce type de législation ne se contentait pas de violer la Constitution, mais aussi « des conventions internationales ratifiées par la Turquie, notamment la Convention européenne des droits de l’Homme et la Charte européenne de l’autonomie locale ». Une situation qui ne date pas d’aujourd’hui :
La Turquie a connu un coup d’État, réussi celui-ci, il y a un an, lorsque le président turc Recep Tayyip Erdoğan a rejeté les résultats des élections législatives du 7 juin 2015, brutalement interrompu le processus de paix avec le mouvement kurde et semé la terreur dans tout le pays et en particulier au Kurdistan. Cette politique de guerre et de terreur a finalement permis à son parti, de remporter par la peur les élections anticipées du 1er novembre 2015.
En mai dernier, dans la continuité de ces mesures autoritaires, le Parlement turc votait en faveur d’une réforme constitutionnelle permettant de lever l’immunité des députés visés par des procédures judiciaires. Une décision ciblant 55 des 59 députés HDP. Pour le parti pro-kurde, « l’échec du dernier putsch a eu pour effet de lâcher la bride au despotisme frénétique d’Erdoğan ».
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Et aujourd’hui, les administrateurs d’Erdoğan remplacent les élus de l’opposition démocratique. Décidés à résister face à ce mépris, les habitants ont manifesté devant les mairies de certaines localités dimanche 11 septembre. Réprimés et dispersés dans la violence, les contestataires continuent cela dit de ne pas reconnaître la décision prise par le gouvernement.
De même, le HDP considère « comme nulle et inexistante cette règlementation qui ignore la volonté des électeurs et qui prive les élus et les collectivités locales de toutes leurs compétences », ajoutant que cette « mesure illicite et arbitraire » ne pouvait « avoir d’autres effets que d’exacerber les problèmes actuels dans les villes kurdes et de rendre encore plus difficile la résolution de la question kurde ».
Le 12 septembre, premier jour de la Fête du sacrifice, une attaque à la voiture piégée est d’ailleurs survenue à proximité du siège départemental de l’AKP et du gouverneur où des policiers étaient en faction. Attribué sans attendre au PKK, l’attentat commis dans la ville de Van, concernée par ces limogeages, aurait blessé cinquante personnes, dont une majorité de civils.
Alors qu’Erdoğan continue de proclamer la victoire du peuple et de la démocratie sur les putschistes, les alliés internationaux de la Turquie émettent de leur côté de discrètes inquiétudes. Critiqué sur les dérives autoritaires du gouvernement, le ministre de la Justice, Bekir Bizdag, s’est contenté d’une brève « explication » sur Twitter, prétextant « qu’être élu ne donnait pas le droit de commettre un crime ». Sans procès donc, les maires concernés par ces évictions ont déjà été jugés coupables par le gouvernement et sont considérés comme des « criminels ». Une dizaine d’entre eux ont par ailleurs été arrêtés.
D’après le site d’information Kedistan, Alp Altınörs, co-président adjoint du HDP, a également été arrêté le 9 septembre, lors d’une perquisition à son domicile : « Selon la déclaration du bureau central du HDP, Alp Altınörs est retenu pour avoir participé à l’enterrement de Zakir Karabulut, une des victimes de l’attentat à la bombe commis le 10 octobre 2015 à Ankara. »
(1) Liste des communes ou provinces concernées : Batman (Gercüş, Beşiri, İkiköprü), Hakkari, Adana (Pozantı), Ağrı (Diyadin), Diyarbakır (Sur, Silvan), Erzurum (Aşkale, Hınıs), Giresun (Çamoluk), Iğdır (Tuzluca), Iğdır- (Merkez) (Hoşhaber), Konya (Ilgın), Mardin (Dargeçit, Derik, Mazıdağı et Nusaybin), Muş (Bulanık), Siirt (Eruh), Urfa (Suruç), Şırnak (Cizre, Silopi) et Van (Edremit, Erciş, İpekyolu et Özalp).
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