Procès des anti-pub : Les Déboulonneurs de Paris plaident « l’état de nécessité »
Le Collectif des Déboulonneurs a fêté son 22ème procès au niveau national ! Une énième procédure que les anti-pub estiment « nécessaire » pour permettre l’émergence d’un débat démocratique sur les effets de la publicité sur l’environnement, la santé et notre société toute entière.
Quelques heures avant le procès de ce mardi 11 octobre, les sept prévenus se retrouvent au Bistrot Eustache, dans le premier arrondissement de Paris. À leurs côtés, quelques soutiens ont fait le déplacement pour assister à la conférence de presse et partager leurs revendications. En revanche, peu de journalistes sont présents. « Mais nous savons que parler des anti-publicitaires relève davantage de l’initiative personnelle des journalistes », souffle Raphaël. J, l’un des accusés, évoquant « les liens qu’entretiennent les rédactions avec les publicitaires et les industriels ».
Lorsque nous écrivons un communiqué, beaucoup de rédacteurs nous répondent qu’ils ont d’autres priorités, poursuit Élise, également convoquée au tribunal. Pourtant, nous démontrons que la publicité contribue à l’amplification des problèmes sociaux et écologiques, se faisant la vitrine d’un modèle de destruction.
Comme eux, cinq autres déboulonneurs ont été accusés de « groupement en vue de préparer ou de commettre des dégradations » et de « dégradation de panneaux publicitaires au préjudice de la SNCF », suite à l’action pacifiste de « barbouillage » des écrans publicitaires de la gare de Lyon, organisée le 2 mai 2015. Parmi eux, cinq barbouilleurs, un distributeur de tracts, et un porteur de mégaphone.
Interpellés par la police et la sûreté ferroviaire, les militants anti-pub ont finalement été convoqués mardi après-midi au tribunal correctionnel de Paris. En l’absence de plainte de la SNCF, ils y étaient poursuivis par l’État.
Si les peines requises par la procureure de la République n’excèdent pas les 400 euros (la peine la plus lourde a été demandée à l’encontre du porteur de mégaphone, déjà condamné pour « barbouillage »), le récit de l’action retranscrit par l’accusation a tout de même interpellé les prévenus. « On nous a fait passer pour des militants qui auraient terrorisé les usagers, raconte Élise. Pourtant, nous sommes au contraire dans une démarche de sensibilisation. Une personne, celle avec le mégaphone, était d’ailleurs chargée d’expliquer ce que nous étions de train de faire et pourquoi ». Et puis, les anti-pub « reçoivent la plupart du temps un très bon accueil lors des actions dans l’espace public », continue la jeune barbouilleuse.
Lutter contre l’hégémonie du système publicitaire
Centrée sur les faits, l’accusation n’a donc pas cherché à obtenir des explications sur les motivations de cette désobéissance active. Seule leur avocate, qui a demandé la relaxe des sept prévenus, a pu justifier « l’état de nécessité » de cette résistance, au vu de l’échec des actions légales entreprises pour limiter les effets nocifs de la publicité. Ce qui explique, d’après Élise, « pourquoi [ils ont] dû avoir recours à la désobéissance civile ». Le délibéré devrait avoir lieu le 9 novembre.
Créé en 2005, le Collectif des Déboulonneurs lutte contre l’hégémonie du système publicitaire dans l’espace public. Dénonçant les conséquences « négatives » de « ce matraquage permanent », les barbouilleurs légitiment leurs actions pacifistes au nom de la liberté de non-réception. De fait, la désobéissance civile active est revendiquée par le collectif comme une action utile et nécessaire pour résister à une agression publicitaire.
Leurs objectifs : la réduction des affiches à 50 x 70 cm et l’interdiction des écrans numériques et autres panneaux lumineux présents dans l’espace public et imposés aux citoyens. « Autant de dispositifs qui vont à l’encontre des mesures indispensables pour répondre correctement au réchauffement climatique, relève Élise. Dans le métro par exemple, un écran lumineux consomme 1244 kg de Co2 par an, contre 125 pour une affiche publicitaire simple ».
Pour Christine. P, l’une des sept barbouilleuses, il s’agit surtout d’inciter les citoyens à s’emparer de cette question pour qu’un véritable débat démocratique puisse avoir lieu. « L’état de nécessité fait référence à un danger imminent, explique la militante. Et c’est à ce titre que certains Déboulonneurs ont été relaxés en 2013, le juge estimant que les anti-pub avaient été contraints à l’action face au recul des politiques publiques en matière de législation des affichages publicitaires. »
En sa qualité de diététicienne et de nutritionniste, l’enseignante Isabelle Darnis a notamment témoigné au procès des impacts de la publicité sur notre santé. « Elle a travaillé sur les effets de la publicité dans les familles et étudié leurs comportements alimentaires, explique Élise. Il s’agissait de démontrer au tribunal que ces messages influent principalement sur des foyers économiquement pauvres qui ne sont pas toujours en mesure de les relativiser ». Évoquant également « la responsabilité de la publicité dans l’épidémie d’obésité infantile, ou encore le rapport entre les images publicitaires et les troubles alimentaires, tels que la boulimie et l’anorexie », Isabelle Darnis a clairement expliqué les dangers que représente l’abondance des messages commerciaux.
Des soutiens rassemblés contre les lobbies publicitaires
Solidaires avec les actions entreprises par les Dboulonneurs, de nombreux professeurs, militants écologistes et associatifs, personnages politiques ou chercheurs se sont en effet fédérés autour de cet « état de nécessité ».
Parmi les soutiens des sept prévenus, un psychiatre. Docteur à l’hôpital Saint-Anne à Paris spécialisé dans la prévention des rechutes, Christophe André étudie « tout ce qui contribue à améliorer, ou au contraire à perturber, l’équilibre intérieur de [ses] patients ». Dans sa lettre, celui-ci alerte explicitement sur la nocivité de la publicité dans l’espace public. D’après lui, c’est d’ailleurs cette « omniprésence agressive », qui « provoque des sollicitations et des interruptions attentionnelles régulières, sinon constantes » affectant nos « capacités attentionnelles (la concentration) », favorisant la « dérégulation de l’autocontrôle (difficulté à contrôler ses impulsions à acheter, boire, manger…) » ou même « la réduction des temps de repos cérébraux ».
Véritable enjeu de santé publique, la publicité est, d’après le psychiatre, un « pertubateur attentionnel » auquel un citoyen ne peut pas résister, quand bien même il serait un anti-pub :
Il est impossible de contrôler en permanence l’attraction que ces sur-stimulations exercent sur notre cerveau. Il existe toute une science du neuromarketing dont l’unique but est d’attirer notre attention : on ne peut laisser les citoyens à leur seule bonne volonté et à leurs seuls efforts face aux moyens considérables des grandes firmes. Le combat est inégal.
Engagée contre l’envahissement publicitaire, Danielle Simonet, conseillère de Paris et coordinatrice du Parti de Gauche (PG), a également tenu à faire entendre son soutien aux barbouilleurs, « réprimés là où ils devraient être valorisés ». Aux côtés des sept accusés toute la journée d’hier, l’élue parisienne a invoqué « l’impérieuse nécessité » de lutter contre le système publicitaire, « bras armé de la culture dominante ». Insistant sur l’obligation de faire respecter la législation en matière d’affichage, celle-ci a également comparé les anti-pub à « des éveilleurs de consciences », qui, à l’instar des lanceurs d’alertes, ne bénéficient d’aucune protection législative, bien que leurs « actions citoyennes » visent à interpeller l’opinion publique sur des enjeux autrement plus important.
Thomas, membre de l’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP), est d’ailleurs intervenu pour faire le bilan sur la législation actuelle. Ou plutôt, comme Khaled Gaiji, le président l’association, l’écrit dans sa lettre : l’absence de restriction en matière d’affichage publicitaire :
Le gouvernement ne fait rien. Qu’importe que les sondages disent qu’une majorité de français est agressée par la publicité (85 % trouvent qu’il y a « trop de publicité » et 79 % la trouvent « envahissante »), qu’un rapport du Conseil des droits de l’homme de l’ONU dresse un bilan général très critique de l’activité publicitaire !
Dénonçant les lobbies publicitaires et leur influence sur les élus, la stratégie des anti-pub est claire, d’après Thomas : ce procès doit permettre l’émergence d’un débat démocratique au sein de notre espace public et permettre une réappropriation de ces enjeux par les citoyens pour que les lignes bougent enfin.