Scènes de chasse aux réfugiés dans les Alpes-Maritimes

Des militaires en armes pour poursuivre des mineurs. C’est le moyen employé parfois pour attraper les réfugiés qui sont alors directement renvoyés en Italie, en dépit des lois et conventions internationales.

Chloé Dubois (collectif Focus)  • 1 octobre 2016 abonné·es
Scènes de chasse aux réfugiés dans les Alpes-Maritimes
© Photo : CITIZENSIDE / ERIC VINCETTE / AFP

Longeant la frontière avec l’Italie, la vallée de la Roya. Cette région escarpée des Alpes-Maritimes est devenue, à mesure que l’Europe érigeait ses murs, l’un des points de passages les plus utilisés par ceux qui souhaitent entrer en Europe. Mais à travers les montagnes, les voies d’autoroutes, les ravins et autres tunnels de voies ferrés, s’engagent de folles courses poursuites entre les forces de l’ordre et les migrants.

Déterminés à traquer les réfugiés, les policiers, gendarmes et militaires armés n’hésitent plus à se rendre jusque dans les maisons des personnes qui osent venir en aide à ces exilés, et à les placer en garde à vue. Sur place, les associations et citoyens solidaires ne cessent d’alerter sur ce qu’il se passe dans la vallée de la Roya, dénonçant la politique migratoire menée dans le département des Alpes-Maritimes.

« C’est peut-être considéré comme illégal, mais on fait le boulot du gouvernement. C’est-à-dire celui de trouver des solutions. » Et ils en trouvent. C’est en tout cas ce qu’affirme Hubert, coordinateur au sein de l’association Habitat et citoyenneté, dans les environs de Nice.

Vingt-cinq policiers ont quadrillé mon terrain et ont attrapé ceux qu’ils pouvaient. C’est-à-dire ceux qui dormaient ; les autres se sont enfuis.

Engagé dans l’accueil et l’orientation des réfugiés, l’homme raconte la rafle survenue lundi dernier dans sa maison, et en son absence : « Un matin, j’ai reçu un appel du commissaire. Il me dit qu’ils ont un mandat de perquisition pour venir chez moi », explique le bénévole. La veille, celui-ci avait contacté les pompiers et la police au sujet d’une jeune femme résidant provisoirement chez lui qui se sentait mal. Après ce coup de fil, Hubert décide de passer chez lui avant de se rendre au commissariat, et constate l’arrestation de ses « invités ». L’un d’eux, un réfugié statutaire lui a expliqué ce qu’il s’était passé :

C’est moi qui leur offre un logement indigne alors qu’eux les renvoient à Vintimille, où ils dorment sur des cartons !

Attendu, Hubert se rend au commissariat et est immédiatement mis en garde à vue pour « aide au séjour irrégulier » et « soumission à des personnes vulnérables dans des conditions de logements indignes ». C’est le « pompon » pour Hubert qui préfère ironiser sur la situation :

Une criminalisation des actes de solidarité difficile à comprendre. Cédric Herrou est membre de Roya citoyenne, une association qui aide à traverser la frontière, à l’accueil et à l’orientation des réfugiés. Il raconte par exemple avoir amené ce matin, aidé de deux personnes, trois mineurs isolés dans une gare située dans le Var. Dans le train en direction de Paris, tous ont été arrêtés, avant d’être libérés en fin de journée.

Des mineurs isolés toujours plus livrés à eux-mêmes

« C’est passe ton chemin, y’a rien à voir. » En quelques mots, le coordinateur d’Habitat et citoyenneté résume la politique migratoire réservée aux mineurs isolés dans les Alpes-Maritimes. Les foyers sont surchargés, l’aide citoyenne aux personnes en difficulté marginalisée. Au mieux, « certains obtiennent des convocations pour dans trois mois. À ce moment-là, ils seront peut-être mis en contact avec des administrateurs. » Entre-temps, ils dorment dehors. Parfois, les bénévoles les conduisent à quelques kilomètres de là, vers d’autres foyers, d’autres lieux d’accueil.

D’après Cédric Herrou, membre de l’association Roya citoyenne, « on voit beaucoup de mineurs isolés ces derniers jours ». L’agriculteur raconte l’interpellation, dimanche matin, d’environ six mineurs. « Des jeunes filles de treize à quinze ans », reconduites à Vintimille par le poste au frontière de Menton. Durant la course-poursuite, Cédric parvient tout de même à recueillir une douzaine d’autres jeunes, et reverra les autres jeunes filles en Italie. Pour lui, « il n’y a pas de confusion possible sur leur minorité. Celle qui a treize ans, on voit bien que c’est une enfant. » Mais aucune mise à l’abri ne leur a été proposée.

Depuis l’attentat de Nice du 14 juillet dernier, une brigade sentinelle du pôle anti-terroriste s’est installée dans la vallée du Roya. Mais « ils s’occupent davantage de contrôler l’afflux de migrants à la frontière et de reconduire en Italie ceux qu’ils arrivent à attraper », assure Cédric. Pour exemple, l’homme raconte l’une de ces poursuites engagée par les militaires, armes au poing.

Mardi matin, jour de marché, Cédric vend ses produits. On vient lui signaler « que l’armée court après des gamins ». Sur place, celui-ci voit des enfants sautant dans un ravin d’une dizaine de mètres. Avec des camarades, il parvient à les retrouver, mouillés mais indemnes. « Ils ont vu la guerre. Lorsqu’ils voient des hommes avec des armes qui les pourchassent, ils s’enfuient et cherchent à s’en sortir par tous les moyens », même les plus dangereux. Une situation inconséquente, également contraire aux droits de l’homme et aux conventions internationales, qui a déjà conduit à de nombreux accidents. Deux associations, dont la Roya citoyenne, sont d’ailleurs en train de préparer un dépôt de plainte contre la préfecture des Alpes-Maritimes.

Alors pour s’en sortir, les jeunes se passent le mot. Dès l’Italie, certains savent vers qui ils peuvent se tourner, et qui ils doivent éviter. Symbole de la faillite de la politique d’accueil en France, les réfugiés évitent les forces de l’ordre, pourtant censées apporter de l’aide aux populations vulnérables. « Si ces jeunes arrivent seuls et sont isolés en franchissant la frontière, ils espèrent bien souvent rejoindre un parent ou un ami, explique Hubert. Mais au lieu de les aider à retrouver leurs proches, de les orienter, les autorités les reconduisent à la frontière. » Ce qui est « dingue » pour l’agriculteur, c’est bien que « nous sommes en France », à « une demi-heure de Monaco », et que « l’on doit contempler le spectacle de ces militaires qui chassent des enfants avec des fusils dans les bras ! ».

Si les consignes de la préfecture consistent à limiter les aides aux réfugiés, notamment en fermant certains foyers, « Vintimille n’est rien de moins qu’une immense salle d’attente ». Et pour Cédric, cela ne fait aucun doute, « ceux qui veulent finiront par passer ».

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