Depuis les geôles d’Istanbul, l’écrivaine Aslı Erdoğan lance un « appel d’urgence »
Du fond de sa cellule, la romancière et militante des droits humains demande à l’Europe de prendre ses responsabilités.
En Turquie, « la situation est très grave, terrifiante et extrêmement inquiétante ». Ces mots écrits par la romancière et militante des droits humains Aslı Erdoğan (aucun lien de parenté avec le président turc) ont une résonance particulière au lendemain d’une opération de police menée dans les locaux du journal Cumhuriyet{: target= »blank » }, l’un des derniers grands quotidiens d’opposition du pays. Une intervention survenue lundi 31 octobre qui s’est soldée par l’arrestation de douze journalistes et collaborateurs. Cela, dans un contexte déjà extrêmement préoccupant où plus de 130 journalistes sont incarcérés. Un « _record mondial », s’insurge l’écrivaine qui rappelle qu’en seulement deux mois « 170 journaux, magazines, radios et télés ont été fermés ».
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La promulgation de l’état d’urgence, instauré après la tentative de coup d’État de juillet dernier, a permis la fermeture de médias et l’incarcération de journalistes, tour à tour accusés d’entretenir des liens avec le prédicateur Fethullah Gülen, personnellement accusé d’avoir ourdi le putsch avorté, ou avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme une organisation terroriste par le gouvernement.
Emprisonnée depuis le 16 août dernier à la prison de Bakırköy, à Istanbul, pour avoir collaboré avec le journal d’opposition pro-kurde Özgür Güdem, duquel Aslı Erdoğan était l’une des « conseillères », la romancière ne cesse cependant de militer en faveur de « la démocratie, des droits humains, de la liberté d’opinion et d’expression » depuis sa cellule.
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Il y a quelques mois, son arrestation, pour « propagande en faveur d’une organisation terroriste », « appartenance à une organisation terroriste », et « incitation au désordre », avait provoqué une vague d’indignation en Turquie et dans le monde. Une pétition internationale réclamant sa libération, lancée par les écrivains Patrick Deville et Jean Rolin, a recueilli près de 32.000 signatures.
La lettre d’Aslı Erdoğan, traduite par le site d’information en ligne Kedistan :
Chèr(e)s ami(e)s, collègues, journalistes et membres de la presse,
Je vous écris cette lettre depuis la prison de Bakırköy, au lendemain de l’opération policière à l’encontre du journal Cumhuriyet, un des journaux les plus anciens du pays, voix des sociaux-démocrates. Actuellement, plus de dix journalistes et collaborateurs de ce journal sont en garde à vue. Quatre personnes, dont Can Dündar, ancien rédacteur en chef, sont recherchées par la police. Même moi, je suis sous le choc.
Ceci démontre clairement que la Turquie a décidé de ne respecter aucune de ses lois, ni le droit. En ce moment, plus de 130 journalistes sont en prison. C’est un record mondial. En deux mois, 170 journaux, magazines, radios et télés ont été fermés. Notre gouvernement actuel veut monopoliser la “vérité” et la “réalité”, et toute opinion un tant soit peu différente de celle du pouvoir est réprimée avec violence : la violence policière, des jours et des nuits de garde à vue (jusqu’à 30 jours)…
Moi, j’ai été arrêtée seulement parce que j’étais une des conseillères d’Özgür Gündem, “journal kurde”. Bien que les conseillères n’aient aucune responsabilité sur le journal, selon l’article n°11 de la loi de la presse qui le notifie clairement, je n’ai pas encore été emmenée devant un tribunal qui a écouté mon histoire.
Dans ce procès kafkaïen, Necmiye Alpay, scientifique linguiste de 70 ans, est également arrêtée avec moi, et jugée pour terrorisme. Cette lettre est un appel d’urgence ! La situation est très grave, terrifiante et extrêmement inquiétante.
Je suis convaincue que le régime totalitaire en Turquie s’étendra inévitablement, également sur toute l’Europe. L’Europe est actuellement focalisée sur la “crise de réfugiés” et semble ne pas se rendre compte des dangers de la disparition de la démocratie en Turquie. Actuellement, nous – auteur(e)s, journalistes, Kurdes, Alévi(e)s, et bien sûr femmes – payons le prix lourd de la “crise de démocratie”.
L’Europe doit prendre ses responsabilités, en revenant vers les valeurs qu’elle avait définies, après des siècles de sang versé, et qui font que « l’Europe est l’Europe” : La démocratie, les droits humains, la liberté d’opinion et d’expression…
Nous avons besoin de votre soutien et de solidarité. Nous vous remercions pour tout ce que vous avez fait pour nous, jusqu’à maintenant. Cordialement,
Aslı Erdoğan
Témoignages de journalistes turcs dont les rédactions ont été fermées suite à la tentative de coup d’État :
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