Israël-Palestine : « Les colons ont détruit un équilibre environnemental fragile »
L’universitaire Mazin Qumsiyet et la journaliste Kifah Abdul Halim alertent sur la catastrophe humanitaire et environnementale qui se profile si une solution n’est pas rapidement trouvée pour résoudre le conflit israélo-palestinien.
De passage à Paris, Mazin Qumsiyeh, professeur à l’université de Bethléem et directeur du Musée palestinien d’histoire naturelle et de l’Institut palestinien de la biodiversité, et Kifah Abdul Halim, journaliste, traductrice et éditrice du site d’information en ligne « Al Lassaa », « La Piqûre » en français, reviennent sur les impacts de la colonisation israélienne sur les sociétés palestinienne et israélienne. Afin d’accélérer la mise en place d’une solution durable pour mettre fin à la politique expansionniste d’Israël, tous deux appellent au renforcement de la campagne Boycott désinvestissement et sanctions (BDS), ainsi qu’à la suspension des accords européens avec le gouvernement israélien.
Si les conséquences de la colonisation israélienne sur les Palestiniens sont régulièrement abordées dans les médias, pouvez-vous nous expliquer en quoi il est important de comprendre l’impact de cette politique sur la société israélienne ?
Kifah Abdul Halim : Israël se présente comme la seule démocratie au Moyen-Orient. Mais depuis 2009, et l’élection de Benjamin Netanyahu, l’espace démocratique s’est terriblement restreint. Des lois racistes et discriminatoires à l’égard des citoyens arabes d’Israël ont récemment été votées. L’agenda politique de la droite touche tous ceux qui ne sont pas d’accord, notamment les citoyens israéliens opposés à la politique colonisatrice du gouvernement. Cela était évidemment prévisible : un État ne peut pas se revendiquer démocratique et juif, en excluant d’emblée une partie de sa population. Au mieux, cette société serait démocratique pour les juifs d’Israël.
Mais ce qui se passe aujourd’hui est encore pire. L’oppression est en train de ronger la société israélienne de l’intérieur. Le monde doit comprendre que beaucoup d’Israéliens sont désespérés par cette situation, eux qui croyaient en un avenir pacifié et en l’élaboration d’une véritable société démocratique. Le sentiment d’être gouverné par des colons est aujourd’hui partagé par de nombreux Israéliens. L’idéologie prônée par les colons tend cependant à s’immiscer dans les esprits et continue de s’imposer dangereusement dans toute la société.
En quoi la colonisation des territoires palestiniens a-t-elle des conséquences sur l’environnement ?
Mazin Qumsiyeh : La cause palestinienne est avant tout une histoire de colonisation, celle d’un peuple dépossédé de ses terres. Après avoir envahi la Palestine, les Israéliens sont entrés en Cisjordanie, créant de nouvelles colonies sur une terre qui devait faire partie du futur État palestinien. Aujourd’hui, 7 des 12 millions de Palestiniens sont considérés comme des personnes déplacées après avoir été expulsées de leurs villages. À l’inverse, il y a 220 colonies qui abritent 750 000 colons israéliens. En matière de densité, il y a plus d’Israéliens en Cisjordanie qu’en Israël. Dans le département de Bethléem, seul 13 % du territoire est habité par des Palestiniens alors que le reste appartient aux colons qui y ont construit 23 colonies.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que là où il y a colonisation, il y a des conséquences irrémédiables sur la société et l’environnement. En venant, les Israéliens ont détruit un équilibre fragile, et tout ce qui avait été établi par les locaux. Ils ont d’abord pris les maisons et les terres, puis ils ont installé des usines et ont développé leur technologie. Sur place, les colons usent de produits chimiques à proximité des champs fertiles et des fermes palestiniennes, impactant évidemment la santé des habitants et des animaux… Des études sur la biodiversité dans la région de Bethléem ont d’ailleurs démontré que de nombreuses espèces ont disparu : reptiles, insectes, mollusques ou mammifères…
Quelles sont les conséquences de la colonisation sur la production et la consommation d’eau dans les territoires palestiniens ?
Mazin Qumsiyeh : En prenant l’eau du fleuve voisin, le Jourdain, Israël a asséché les régions voisines pour pouvoir approvisionner le pays. D’où la désertification de ces régions et la baisse du niveau de la mer Morte. Désormais, les colons souhaitent construire un canal entre la mer Rouge et la mer Morte. Il s’agit d’un projet très critiqué tant les conséquences environnementales pourraient être terribles. Mais encore une fois, ce sont les futurs territoires palestiniens qui en pâtissent. Et si les Israéliens ont une consommation d’eau au-dessus de la moyenne, s’octroyant 91 % de la production, les Palestiniens, eux, n’en n’ont pas assez alors que ces ressources sont sur leur territoire.
La création d’un État palestinien est-elle encore une solution envisageable selon vous ?
Kifah Abdul Halim : Cela devient difficile. D’autant que la société israélienne, comme le gouvernement, ne cesse de se radicaliser. Comment croire en la création d’un État palestinien alors que le territoire qui lui est réservé, la Cisjordanie, ne cesse de se transformer ? Il ne fait aucun doute que ces nouvelles colonies visent à judaïser les territoires palestiniens… Si le gouvernement précédent prétendait être favorable à l’établissement d’un nouvel État, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Mazin Qumsiyeh : Cette solution est une illusion, un mythe. Le premier à avoir évoqué la création d’un État palestinien, c’est Ben Gourion, en 1920. Mais il s’agissait d’une stratégie. Les dirigeants israéliens continuent de faire croire au reste du monde qu’ils veulent la paix, mais actuellement, ce conflit ne peut pas se résoudre. En partie parce que les colons, soutenus par le gouvernement, ont toujours affirmé qu’ils étaient opposés à la création d’un tel État. L’histoire montre d’ailleurs que cette solution est rarement envisagée par les colonisateurs. Soit les colons partent, comme en Algérie, soit les locaux sont réprimés, voire éradiqués. Soit une cohabitation entre les colonisés et les colonisateurs est instaurée. Mais cette dernière solution implique la reconnaissance du droit des « colonisés ». Ce qui n’est pas le cas en Israël. Lorsque les Palestiniens ont souhaité faire valoir leur « droit » à l’eau, le gouvernement israélien a immédiatement rectifié, préférant évoquer leur « besoin » en eau. S’ils devaient reconnaître le droit des Palestiniens à disposer de cette ressource, alors le gouvernement ne pourrait plus continuer à en disposer librement.