Ceta : un « combat majeur » commence

L’accord de libre-échange entre l’Europe et le Canada devrait être voté sans accrocs mercredi au Parlement européen. Mais la guerre contre ce traité n’est pas perdue, selon ses opposants.

Erwan Manac'h  • 14 février 2017 abonnés
Ceta : un « combat majeur » commence
© Photo : Alexandros Michailidis / SOOC

L’issue du vote en séance plénière, ce mercredi au Parlement européen, fait peu de doute. Les deux tiers de l’assemblée, majoritairement de droite, devrait voter en faveur du traité de libre-échange Union européenne-Canada (Ceta), celui-ci ayant le soutien des sociaux-démocrates des pays du Sud et de l’Est de l’Europe. L’accord sera alors appliqué provisoirement, avant d’être ratifié par les États membres.

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Le vote du Parlement est une étape cruciale dans l’adoption de ce traité de libre-échange, le premier d’un genre nouveau. Il vise en effet avant tout « l’harmonisation » des normes des deux côtés de l’Atlantique. Les droits de douane étant déjà réduits à une portion congrue, il s’agit de réduire les « barrières non tarifaires » au commerce. Traduction, selon ses opposants : le commerce primera désormais sur le renforcement des normes écologiques, sanitaires et sociales. Les multinationales – grâce notamment aux tribunaux arbitraux leur permettant de faire condamner un État – gagnent des outils pour faire valoir leurs intérêts, au détriment du principe de précaution.

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Mais la mobilisation s’est amplifiée à un niveau inédit. Une manifestation européenne est organisée ce mercredi à Strasbourg en marge du vote et Grenoble accueillera le week-end prochain les « rencontres européennes des collectivités hors Tafta et Ceta ». Après avoir fait voter des résolutions dans 2 137 collectivités locales et rassemblé 3,5 millions de signatures contre le traité, les 500 ONG de la coalition Stop Ceta nourrissent encore des espoirs importants de faire barrage à son application.

Le Ceta est-il constitutionnel ?

Car le Ceta va désormais traverser une zone d’intenses turbulences juridiques. Sa conformité avec les traités européens est contestée par plusieurs expertises. La Cour de justice de l’Union européenne pourrait donc être amenée à se prononcer sur sa légalité. Il faut qu’un État membre la saisisse, ce qui n’est toujours pas le cas malgré les demandes répétées des ONG.

En octobre, le parlement régional de Wallonie (Belgique) avait donné des sueurs froides aux dignitaires européens en refusant temporairement d’autoriser l’UE à signer le traité, notamment en raison de ses réticences sur la légalité du Ceta. Ces inquiétudes avaient été mises en sourdine en échange de la promesse d’une saisine de la Cour de justice de l’Union européenne. Si elle tarde encore à venir, la fronde wallonne pourrait ressurgir. Le ministre-président de la région, Paul Magnette, devenu la personnalité préférée des Belges depuis son opposition au Ceta, menace d’inscrire immédiatement à l’ordre du jour du parlement wallon la ratification du traité pour la rejeter rapidement.

Trois ONG françaises (Foodwatch, l’Institut Veblen et de la Fondation Nicolas Hulot) contestent également la conformité du Ceta avec la Constitution française. Selon trois experts qu’elles ont interrogés, le traité contrevient notamment à l’exercice de la souveraineté nationale et au principe de précaution.

« Nous sommes à l’aube d’un combat majeur »

Le ciel s’est aussi assombri pour le Ceta sur le terrain politique. La ratification, par les 38 parlements nationaux et régionaux de l’UE, pourrait s’avérer problématique. Notamment là où les sociaux-démocrates lui sont hostiles. « Beaucoup de chemin a été parcouru. Au Parlement européen, il y a encore un an, nous n’étions qu’une poignée à alerter nos collègues sur les risques du Ceta. Aujourd’hui nous sommes de plus en plus nombreux et même les sociaux-démocrates canadiens ont voté contre. Nous sommes à l’aube d’un combat majeur », juge Emmanuel Maurel, député européen socialiste, au cours d’une conférence de presse commune avec Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot et plusieurs députés européens hostiles au Ceta, ce lundi à Paris.

L’Autriche, la Slovénie, les Pays-Bas et plus encore la Belgique, ne sont pas assurés de dégager une majorité favorable au Ceta. Et la moitié du groupe social-démocrate au Parlement européen est aujourd’hui opposée au texte.

En France, les socialistes restent divisés. La délégation PS au Parlement européen, plus à gauche que la maison mère de Solférino, votera contre le Ceta ce mercredi. Mais à Paris, le secrétaire d’État au Commerce, Matthias Fekl, est favorable au traité, qu’il estime « équilibré », à l’inverse du traité avec les États-Unis, le fameux Tafta, dont les négociations sont au point mort.

Le Parti socialiste avait aussi manœuvré, début octobre, pour écarter une résolution à l’Assemblée contre l’application provisoire du traité. Mais le 2 février, les députés communistes ont réussi à faire voter une résolution similaire demandant par ailleurs l’organisation d’un référendum sur le Ceta. Et ce grâce à l’abstention des socialistes. « Tout le monde est embêté », avouait alors un élu socialiste interrogé par LCP à propos du désaccord interne au parti socialiste.

Emmanuel Maurel, ce lundi, ne le contredisait pas :

Il n’y a pas eu de position officielle du PS, car le parti est lui-même traversé par des contradictions sur cette question. Mais je ne désespère pas que nous arrivions à convaincre nos collègues nationaux. De toute façon, le recours à un référendum me paraît capital.

La bataille politique ne fait donc que commencer. D’autant que les cartes seront rebattues à l’Assemblée avant la ratification du Ceta. Et les lignes continuent d’évoluer dans les autres familles politiques. Les députés européens du centre ont ainsi décidé de s’abstenir ce mercredi au Parlement européen. La droite française n’est pas non plus claire sur un texte qui mobilise contre lui beaucoup de petites et moyennes entreprises qui voient d’un mauvais œil la concurrence future des multinationales canadiennes. En somme, seul Emmanuel Macron a clairement pris position en faveur du Ceta parmi les candidats à la présidentielle.

« Juste-échange »

« On voit que la nature du débat a changé, observe aussi Amélie Canonne, de l’Association internationale des techniciens, experts et chercheurs (Aitec). Les défenseurs du Ceta changent d’argument et essaient de se poser en rempart contre le “populisme” de Donald Trump. Ils n’utilisent plus que cet argument de peur et de catastrophisme. »

Lundi, la gauche affichait une unité sans fausse note au sujet du libre-échange. « Nous avons en commun de vouloir réintégrer le coût environnemental et social dans le prix des marchandises », note Jean-Luc Mélenchon, favorable à un « protectionnisme solidaire ». Isabelle Thomas, députée européenne socialiste, propose l’expression de « juste échange » pour « écrire au niveau européen une nouvelle page du commerce international qui défende l’environnement, les citoyens et la démocratie ».

La ratification du Ceta, ce mercredi, ouvre donc une période d’incertitude qui ne manquera pas d’ébranler une Union européenne déjà fissurée. Notamment parce que le Ceta sera appliqué « provisoirement » à partir du mois de mars. Une première, pour une réforme de cette ampleur. « On ne sait pas si un pays peut, seul, faire tomber le Ceta en cas de vote négatif de son parlement, présage Amélie Canonne. Ce sera une bataille politique. »

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