Le rassemblement, pas l’enlisement

Si l’on en croit les sondages, le total des voix de Hamon-Jadot-Mélenchon peut conduire un candidat de gauche à la victoire finale. Voilà qui semble suffire à ranimer l’espérance. Mais est-ce si simple ? L’historien Roger Martelli répond à cette question.

Roger Martelli  • 14 février 2017
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Le rassemblement, pas l’enlisement
© Photo : Michel Soudais

Il ne suffit pas de gagner une élection : il faut aussi gagner l’après-élection. Quelles ont été les périodes de plus grande poussée du Front national ? 1983-1988, 1997-2002 et 2012-2017. Chaque fois, la gauche dominée par les socialistes a gagné dans les urnes. En principe, elle a gagné bien à gauche. Mais elle a pratiqué une gestion du pouvoir recentrée. Elle s’est coulée dans les normes de la mondialisation capitaliste ; elle a déçu la gauche et désespéré les catégories populaires. Elle n’a pas suscité de mouvement social combatif et, au contraire, elle a nourri le ressentiment.

S’il faut rassembler, ce n’est donc pas pour revenir à la case « 2012 », ni même à la « gauche plurielle » de 1997. Une gauche conséquente est une gauche qui tourne le dos à quatre décennies d’errements ; c’est une gauche décidée à rompre avec une logique d’accommodement au désordre du monde, au primat de la finance et au règne de la « gouvernance ».

Tourner la page Hollande-Valls ? Magnifique. Mais on ne peut pas dire en même temps que cette époque est forclose et que le bilan de la période ouverte en 2012 « n’est pas indéfendable ». On ne peut pas vouloir rassembler la gauche et quémander le soutien de Bernard Cazeneuve. On ne peut pas appeler à une rupture et soutenir aux législatives des individus qui, jusqu’au bout, ont conduit ou approuvé la politique ayant mené la gauche au désastre.

Enjeux et besoin

En bref, il ne suffit pas de profiter des déboires mérités de la droite parlementaire pour refonder la gauche, en lui permettant de se raccorder à l’action sociale et d’être utile aux catégories populaires. Les enjeux économiques, sociaux et démocratiques sont trop grands pour que l’on s’en tienne à de simples postures et à des grands écarts.

Une gauche à la hauteur des enjeux, cela ne se mesure pas à la seule qualité des programmes qu’elle propose. Cela se juge d’abord à la clarté des ambitions et à la force des méthodes proposées. Veut-on faire en sorte que l’on rompe avec la logique désastreuse des traités européens et d’abord de celle du traité de Lisbonne, qui tournait le dos à la volonté exprimée en 2005 par le peuple français ? Veut-on rompre avec le credo monétariste, l’obsession de la dette et la compression de la dépense publique ? Veut-on rompre avec la théorie meurtrière de la « guerre des civilisations » et de « l’état de guerre », ainsi qu’avec « l’otanisation » accentuée des défenses française et européenne ? Veut-on en finir avec un esprit monarchiste-présidentiel qui étouffe la vie démocratique et enfonce nos institutions dans la crise ? Est-on prêt à engager un processus constituant de refonte constitutionnelle ? Est-on décidé à mettre enfin le développement des capacités humaines au cœur d’un développement économe en ressources naturelles ? Est-on disposé à en tirer toutes les conséquences ? Est-on prêt à agir concrètement, à l’échelle planétaire pour réduire des inégalités, répartir les ressources, réorganiser les dispositifs institutionnels, protéger les équilibres écologiques, remettre les organismes économiques au service de la décision politique ?

Ce dont la gauche et la démocratie française ont besoin, c’est d’un débat sur le fond de ces questions. Les tractations programmatiques et les ententes électorales ne devraient venir qu’en conclusion d’une entente durable sur les finalités, les étapes et les méthodes. À ce jour, les militants socialistes ont fait un pas en avant formidable. Mais le candidat qu’ils se sont choisi reste dans un entre-deux prudent. S’il va au-delà, s’il choisit le parti pris de rupture et en tire toutes les conséquences, y compris législatives, alors tout est possible. S’il ne le fait pas, le rassemblement de la gauche est un nouveau miroir aux alouettes.

Les catégories populaires dispersées et déstabilisées ont besoin de se constituer en peuple politique, c’est-à-dire en acteur capable de construire les conditions globales de son développement. Un peuple politique est un peuple rassemblé. Mais un rassemblement ne vaut pas en lui-même : il vaut par le projet qu’il est capable de formuler et de mettre en œuvre. Aujourd’hui, le rassemblement populaire n’est propulsif que s’il se noue autour des notions clés de souveraineté et d’émancipation. Par ailleurs, ce rassemblement ne se décrète pas, mais se construit : le rassemblement de la gauche en est une dimension majeure.

Accommodement ou rupture ?

Mais, à son tour, ce rassemblement de la gauche ne vaut que s’il permet à la gauche d’agir, du bas en haut de la société, conformément à ses valeurs (égalité, citoyenneté, solidarité) et à elles seules. Et il en est du rassemblement de la gauche comme de celui du peuple : il se construit et ne se décrète pas. Se fixer l’horizon concret du rassemblement le plus large est un impératif. Mais il ne sert à rien de laisser entendre que son impossibilité immédiate ne relève que de la responsabilité des ego, du sectarisme ou des égoïsmes partisans. En fait, à tout moment, on est tenu de dire en même temps qu’il faut rassembler et quelle est la logique profonde qui devrait régir ce rassemblement : esprit d’accommodement et d’adaptation à l’existant ou esprit de rupture et d’alternative ?

Le choix des militants socialistes est prometteur pour la perspective d’une gauche combattive rassemblée ; mais la promesse n’est pas l’effectivité. À ce jour, aucune des raisons qui ont plaidé pour le choix d’une candidature de Jean-Luc Mélenchon n’apparaît comme obsolète. À ce jour, aucune des raisons qui laissent penser que le PS n’a pas pleinement tiré les conséquences de près de quatre décennie d’exercice du pouvoir n’est invalidée pleinement par la candidature Hamon.

Une gauche qui gagne est une gauche de rupture, appuyée sur un Président acquis à cette rupture, avec une majorité décidée à la porter sans hésiter. Quand le Front national est à l’affût, quand les ultimes digues sont à deux doigts de tomber, toute autre hypothèse serait irresponsable.

À noter : Roger Martelli sera l’invité de notre débat mensuel le 23 février

© Politis

Publié dans
Tribunes

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