Les patrons mettent la pression sur les programmes de SES
Un enseignement « biaisé », des professeurs trop keynésiens… La critique du patronat envers les sciences économiques et sociales au lycée est un classique. Un groupe de pression constitué d’anciens PDG leur (re)déclare la guerre.
C’est la même histoire qui se répète… », soupire Erwan Le Nader, président de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (Apses). En 2010, déjà, les programmes de sa discipline avaient été attaqués. Le ministre de l’Éducation de l’époque, Xavier Darcos, avait proposé diverses réformes, sous l’influence de l’Académie des sciences morales et politiques (ASMP).
Aujourd’hui, l’enseignement de l’économie au lycée se retrouve, une fois encore, au centre des débats politiques. L’actuelle ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a demandé cet été une évaluation des programmes par le Conseil supérieur des programmes et le Conseil national éducation-économie. De son côté, l’ASMP, encore elle, organisait ce lundi 30 janvier un colloque pour présenter son « diagnostic ». Au menu : des interventions d’économistes ayant rédigé des rapports critiques sur les manuels scolaires.
Une discipline « envahie » par la sociologie
Parmi eux, des professeurs étrangers et… un banquier. Chef de département chez Citigroup et président du think tank Club Praxis, Yann Coatanlem, lors de son intervention, intitulée « Les SES réduites à une simple extension de l’histoire-géographie », a critiqué une discipline envahie par la sociologie au détriment des outils mathématiques. Dans son rapport sur les manuels des éditions Belin, le banquier souhaite ainsi « plus de temps consacré à l’économie qu’à la sociologie pour développer une meilleure compréhension des concepts et enjeux économiques par les futurs cadres d’entreprise et les futurs citoyens ».
Cette approche est critiquée par certains professeurs, comme Jean-Marie Harribey, membre des Économistes atterrés et chroniqueur à Politis, qui a enseigné durant vingt ans dans le secondaire :
La richesse des SES, c’est la pluridisciplinarité des sciences qui apporte un éclairage complet. On ne peut pas expliquer les faits économiques uniquement avec les mathématiques.
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« Sensibiliser les élèves au libéralisme »
Les lycéens seraient donc d’abord des futurs cadres avant d’être citoyens ? Cela ne semble faire aucun doute pour l’Académie, dont le président, Michel Pébereau, soulignait en 2006 « la nécessité d’effectuer un travail de fond sur (les) lycéens (…) afin de les sensibiliser aux contraintes du libéralisme » (sic). Une opinion peu surprenante au regard de la composition de l’institution : la présence majoritaire des patrons fait d’avantage penser à un lobby qu’à une académie. À la direction, on trouve ainsi, outre Michel Pébereau, ancien PDG de BNP-Paribas et conseiller influent de Nicolas Sarkozy, François d’Orcival, ancien rédacteur en chef de Valeurs actuelles, où il continue d’écrire, et membre d’honneur de La Revue des Deux Mondes, désormais bien connue.
L’antichambre du Medef
La section économie, statistiques et finances de l’ASMP, chargée de l’organisation du colloque, ressemble quant à elle à une maison de retraite pour membres du Medef. Aux côtés de Denis Kessler, ancien vice-président de l’organisation patronale – de 1998 à 2002 –, y siègent Marcel Boiteux, ex-dirigeant d’EDF, et Yvon Gattaz, qui a dirigé le Conseil national du patronat français (CNPF, ancêtre du Medef) entre 1981et 1986. Pas un professeur pour commenter les programmes scolaires ? Si, heureusement. Michel Pébereau et Jean-Claude Casanova apportent leurs lumières en tant qu’anciens enseignants à Science Po Paris. Des carrières qui ont explosé en plein vol, puisqu’ils ont été désavoués, en 2012, après avoir été pointés par la Cour des comptes dans un rapport relevant « des irrégularités de gestion » au sein de l’Institut d’études politiques.
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Un discipline dictée par la politique
Loin de Science Po, les professeurs de SES voient leurs programmes évoluer au gré des mandats. « Sous le quinquennat précédent s’était constitué un cabinet d’experts nommés par le ministre. Il y avait donc une forte intervention politique, explique Erwan Le Nader. En 2013, le ministère a créé une institution plus indépendante : le Conseil supérieur des programmes. » Constitué de députés et de sénateurs, mais aussi de deux membre du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et surtout de dix personnalités qualifiées. « L’avenir de cette institution dépend du résultat de l’élection présidentielle, se désole le professeur. François Fillon, par exemple, veut que l’État fixe les principes et les programmes. Ce serait catastrophique… »
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