Bac Blanquer ou bac bloqué ?
Alors que les vacances de février ont débuté, la mobilisation contre la réforme voulue par le ministre de l’Éducation n’a pas l’intention de prendre de congés.
dans l’hebdo N° 1590 Acheter ce numéro
Ils et elles sont plus de quatre-vingts venu·es de lycées de toute la France, samedi 8 février à Paris. Une seule envie les anime : continuer de se mobiliser contre la réforme Blanquer du baccalauréat. « Notre objectif est de trouver de nouvelles actions à mener en France contre cette réforme », assure Maël Cueye, lycéen niçois de 17 ans. Les « E3C », épreuves communes de contrôle continu, sont au cœur des échanges de cette coordination nationale lycéenne (CNL) des 8 et 9 février. « On veut leur annulation. Ce modèle n’est pas juste », assure Héloïse Moreau, présidente de l’Union nationale lycéenne (UNL). L’argument revient régulièrement : ces épreuves n’étant pas nationales, elles renforcent les inégalités. Le Snes-FSU, syndicat majoritaire des enseignant·es du secondaire, demande ainsi le « rétablissement d’un diplôme national » dans la foulée des dernières mobilisations lycéennes.
Depuis la mi-janvier, blocages et reports s’enchaînent un peu partout en France. Si le ministre de l’Éducation nationale assure que 85 % des examens se sont déroulés « normalement », la cloche sonnerait en réalité différemment. « On est plutôt dans l’ordre de 500 à 600 établissements perturbés durant les épreuves », assure Patrice Vibert, cofondateur de Stop Bac Blanquer.Ce professeur de philosophie de Rouen (Seine-Maritime) collecte l’ensemble des actions menées par les lycéen·nes pour perturber les épreuves. Avec des collègues, il assure vouloir « contrer les chiffres » du ministre. Lettres aux académies, blocages temporaires, report des épreuves, annulations, etc. Tous ces éléments figurent sur les données de ses cartes coopératives. « On propose aux gens de remplir les données à l’aide de formulaires. On contrôle tout et on compile avant publication », précise-t-il. Le SNPDEN-Unsa produit lui aussi des informations chiffrées. Le syndicat des proviseurs affirme que 43 % des établissements auraient été perturbés ces dernières semaines.
Si les chiffres prêtent à discussion, c’est en raison de l’action isolée de certains lycées. « Les classes de lycée sont des communautés restreintes. Si une grande partie se mobilise, les autres suivent plus facilement, constate Robi Morder, politologue et spécialiste des mouvements lycéens. Donc, si une grande partie décide de ne pas bloquer les E3C, la contestation n’est que minime. » Croisé·es lors du blocage d’un lycée à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), des élèves admettent se coordonner entre établissements de la ville. « On est quelques organisateurs à se réunir. On motive ensuite le plus de monde possible sur les réseaux, raconte Dounya*, 17 ans. On veut repousser les sessions d’examen jusqu’à l’annulation. »
De leur côté, les établissements n’hésitent pas à recourir à la force pour faire passer les E3C. Sur Internet, de nombreuses images de forces de l’ordre présentes devant les lycées circulent ces dernières semaines. Il y a eu près de vingt-cinq placements en garde à vue en Île-de-France entre le 28 janvier et le 7 février. Daniel en fait partie. À la suite d’un feu de poubelle devant son établissement, le jeune homme est convoqué au commissariat pour dégradation de biens publics. « Je ne regrette pas. Il faut se faire entendre, et je serais prêt à recommencer », assure le lycéen. Tout ceci conforte un climat de tension difficile à apaiser. « Cette répression est du jamais vu dans les lycées, assure Robi Morder. Si la contestation est hétérogène, il ne faut pas la minimiser. »
Les parents d’élèves haussent aussi le ton contre le ministre de l’Éducation nationale. « Ce n’est pas en muselant la parole des enfants que Jean-Michel Blanquer va s’attirer notre confiance », martèle Florence Claudepierre, présidente de la FCPE du Haut-Rhin. Avec une délégation nationale de parents d’élèves, elle manifestait le 7 février devant le ministère contre les menaces de 0/20 aux examens pour les élèves bloquant les établissements. « Mon fils bloque son lycée. Les élèves sont mal préparés, donc je ne peux que cautionner », assure Linda, mère de famille croisée sur place. D’autres parents confessent d’ailleurs leur « incompréhension », le « stress intense » ressenti par leurs enfants pour ces épreuves. « On est perdus et on nous en demande beaucoup trop ! » assure Adriane, élève de Seine-et-Marne.
Du côté du corps enseignant, les arguments suivent. Dans une vidéo adressée au ministre, Nicolas Herla, professeur de mathématiques à La Rochelle, interpelle sur la difficulté du programme. « Je ne peux pas enseigner autant de notions en si peu de temps », assure le professeur dans sa vidéo. Des propos partagés dans la rue lors de la grève du 6 février. « Les élèves de première sont sous le jus ! On le ressent tous dans notre établissement », confesse Arnault, professeur de mathématiques à Montreuil. « Avec les inégalités des E3C, comment voulez-vous que les élèves aient confiance en eux ? » interpelle Diane, qui enseigne l’histoire-géo à Bagnolet.
Lancé en septembre, un comité de suivi est chargé d’ajuster la mise en place de la réforme en collaboration avec le ministère. Jean-Michel Blanquer assure être à l’écoute et avoir allégé par exemple la charge de travail en français. « Ce comité est une grande blague. Nous ne sommes absolument pas écouté·es ! » estime Zoée Pérochon de Jametel, une des représentantes des lycéen·nes au comité, et responsable de la liste « Lycéens au centre » au sein du Conseil supérieur de l’éducation (CSE). Elle résume le comité à « une simple opération de communication », qui ne tient pas compte de la réalité lycéenne. Propos soutenus par Benoît Teste, secrétaire général de la FSU. « On est loin d’une grande écoute avec ce comité. Il n’y a pas de réel poids dans la concertation », assure-t-il. Invité à la coordination nationale lycéenne du 7 février, il reconnaît « la détermination et l’incroyable ténacité » des jeunes.
La sortie de crise paraît encore loin pour Jean-Michel Blanquer. S’il assure vouloir revoir la deuxième session des E3C dès avril prochain et aller « dans le sens de la simplicité », des efforts seraient encore à fournir. « Il faut ouvrir le dialogue. Dans le contexte actuel, le refus de concertation ne peut qu’aggraver les choses », assure Robi Morder. La CNL, de son côté, a décidé de garder closes les portes des lycées. Des actions sont prévues à la reprise des vacances. Une « semaine noire » de blocages, du 16 au 21 mars, est ainsi envisagée en collaboration avec le corps enseignant.
- Le prénom a été modifié.