Mathilde Monnier : « Tendre vers l’imprévu »

Mathilde Monnier, figure majeure de la danse contemporaine, dessine des pistes d’avenir pour son art.

Jérôme Provençal  • 22 juillet 2020 abonné·es
Mathilde Monnier : « Tendre vers l’imprévu »
El Baile, chorégraphie de Mathilde Monnier, créée en 2017 à Montpellier.
© PASCAL GUYOT /AFP

Nous sommes dans une phase intermédiaire encore très floue. Nous avons envie de croire que le plus dur est passé en France et que la vie va pouvoir recommencer. Pourtant, si nous regardons ailleurs dans le monde, notamment sur le continent américain, nous voyons bien que la pandémie est loin d’être finie. L’incertitude persistante m’apparaît la caractéristique la plus marquante du moment que nous vivons. Dans ma vie professionnelle comme dans ma vie personnelle, j’ai le sentiment que tout change tout le temps. C’est déstabilisant mais aussi stimulant, car cela redonne une grande liberté d’action. S’agissant de mon activité de chorégraphe, cette crise remue déjà pas mal de choses, notamment au niveau de la production et du processus de création. Je réfléchis beaucoup à de nouvelles formes et temporalités.

Durant six semaines en mai-juin, j’ai organisé – avec très peu de moyens – une série de micro-résidences et de micro-performances, à jauge très réduite, dans mon nouveau studio, installé au sein de la Halle Tropisme, à Montpellier. J’ai été ravie de cette expérience, qui permet d’instaurer un rapport plus intime, et j’aimerais beaucoup pouvoir la prolonger, mais je n’ai pas les ressources nécessaires pour le moment. À l’avenir, j’ai envie de productions plus légères, qui privilégient l’humain et sortent des cadres habituels en investissant des espaces atypiques. Il faut toujours tendre vers l’imprévu. La question de l’écologie se pose aussi, bien sûr, et elle n’est pas simple à résoudre. En tant qu’artiste, il est très difficile de ne pas voyager du tout. Partir à la rencontre de danseurs fait partie de mon travail. Ce qui doit changer, c’est notre façon de voyager : il faut l’aménager et la rationaliser. Plus généralement, nous devons appliquer d’autres manières de travailler en prenant en compte la protection de l’environnement.

Contrairement à ce qu’a dit Emmanuel Macron (1), les artistes n’ont pas besoin de se réinventer car ils s’attachent déjà à le faire au quotidien. Ils doivent plutôt se réadapter en faisant preuve d’une souplesse maximale.

Sur le plan politique, si l’année blanche pour les intermittents me semble évidemment une mesure importante, « l’été culturel et apprenant » me laisse plus dubitative. J’y vois une initiative sans réelle consistance et je pense qu’il aurait mieux valu donner de l’argent à des compagnies pour développer des projets en profondeur. À court terme, il faudrait soutenir en priorité les très petites compagnies indépendantes, les personnes en CDD et toutes celles qui ne bénéficient pas de l’intermittence ou n’ont accès à aucune des aides mises en place. Demain comme hier, la danse peut vraiment aider à vivre, car elle permet de mieux appréhender son corps et le monde qui l’entoure. Elle ne cherche pas la réussite ou la performance, au contraire du sport, mais elle offre un espace de libre et intime expression.

(1) Mathilde Monnier a fait partie des représentants de la culture auditionnés par le président de la République le 6 mai.

Spectacle vivant
Publié dans le dossier
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