Nature : Les effets de « l’anthropause »

Si la suspension des activités humaines pendant le confinement n’a pas vraiment permis à la nature de « reprendre ses droits », elle a rendu évidente la nécessité de repenser notre lien au vivant.

Vanina Delmas  • 22 juillet 2020 abonné·es
Nature : Les effets de « l’anthropause »
Les naturalistes se disent davantage impressionnés par l’abondance des plantes sauvages dans les interstices urbains que par les images d’animaux égarés en ville.
© Alain Pitton/NurPhoto/AFP

Un sanglier dans les rues désertes de Barcelone, des canards se dandinant devant la Comédie-Française à Paris, un puma dans le centre-ville de Santiago du Chili, des dauphins, puffins et hérons cendrés à foison dans les calanques de Marseille… Ces images d’animaux sauvages gambadant, nageant, volant dans des lieux privés de présence humaine ont fait le tour du monde et alimenté les réseaux sociaux pendant les longues semaines de confinement. Et l’expression « la nature reprend ses droits » a souvent été brandie comme une bonne nouvelle en cette période troublée par la pandémie de Covid-19. Mais ces phénomènes sont beaucoup plus complexes qu’une réappropriation de l’espace urbain par des animaux sauvages.

« Le silence soudain en ville ainsi que le temps libre ont permis aux gens de découvrir des espèces autour de chez eux, même si elles y vivent toute l’année. Il est naïf de croire que la nature va reprendre ses droits car l’activité s’est arrêtée un temps en ville – les pratiques agricoles et notamment l’épandage de pesticides ont continué à la campagne. Pour un retour de l’ours en plaine, il faudra un peu plus que deux mois de confinement ! » souligne malicieusement Grégoire Loïs, naturaliste à l’Agence régionale de la biodiversité en Île-de-France et au Muséum national d’histoire naturelle. L’ornithologue reconnaît avoir été davantage impressionné par l’abondance des plantes sauvages sur les trottoirs vides de tout piétinement et par la limpidité de la Seine devenue une belle fenêtre sur les plantes aquatiques parisiennes.

Dans un article publié le 22 juin dans la revue Nature Ecology and Evolution, une équipe de scientifiques invite à profiter de cet arrêt inhabituel de la mobilité humaine sur terre et sur mer pour étudier notre impact sur la faune et la flore. S’inspirant de l’expression « the great pause » (« la grande pause ») utilisée par les Anglo-Saxons, les chercheurs proposent de désigner cette période exceptionnelle par le terme « anthropause ». « L’expansion des populations humaines transformant les environnements à une échelle sans précédent, comprendre les liens entre les comportements humain et animal est crucial pour préserver la biodiversité mondiale, maintenir l’intégrité des écosystèmes et prévoir les zoonoses (1) mondiales et les changements environnementaux », affirment-ils.

Car rester bloqué au stade de l’émerveillement pourrait laisser penser que tout va bien pour la nature. Or le rapport 2019 de l’IPBES (2) indique que 1 million d’espèces de plantes et d’animaux sur 8 millions sont en voie d’extinction, 2 millions en grand danger, et qu’en quarante ans plus de 60 % des vertébrés sauvages ont disparu. « Il faut regarder les tendances sur le long terme, et que ce début de prise de conscience soit accompagné d’une recherche d’informations et d’un esprit critique afin de repenser notre rapport à la faune, au vivant, commente Grégoire Loïs. Parler de vivant plutôt que de biodiversité permet d’inclure plus facilement les humains, car il ne faut pas oublier que nous sommes aussi des animaux ! »

La recherche des causes de la pandémie de Covid-19 sur le marché d’animaux de Wuhan a entraîné la désignation de certaines espèces sauvages ou domestiques. Pangolin ? Chauve-souris ? Moustique ? Singe ? Peu importe finalement, car la véritable origine des dernières zoonoses identifiées provient des activités humaines : la destruction massive et effrénée des habitats des animaux, le braconnage, le commerce illégal d’espèces sauvages et tout ce qui accroît le dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité.

Quelle réaction privilégier désormais ? Avoir peur de la nature ? Mieux l’apprivoiser, la contrôler ? La laisser en dehors des plans de relance ? Pour les 14 organisations à l’origine du livre blanc pour la biodiversité intitulé Pour que vive la nature (3), il faut plutôt opter pour une « réconciliation avec la nature, ou même une “réinsertion” de notre espèce dans la biosphère, en considérant que nos destins sont liés ».

Dans cette relation d’interdépendance inévitable, remodeler notre rapport à la nature engendrera des bénéfices pour les individus et la société, comme le rappelle la philosophe de l’environnement Virginie Maris(4) : « Là où cessent l’exploitation et la domination, la nature reprend de la vigueur, de la diversité, de l’autonomie. Préserver la nature sauvage, c’est accepter de lâcher prise et s’affranchir du désir de contrôle. Une telle humilité est plus que jamais nécessaire […], notre seule chance de sortir de la trajectoire mortifère que l’orgueil et la cupidité de certains ont imposée à la société tout entière. »

(1) Maladies transmises de l’animal à l’être humain.

(2) Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques.

(3) Pour que vive la nature, LPO, FNE, SNPN, Aspas, OPIE, Surfrider, SFEPM, Humanité et Biodiversité, ANPCEN, Ferus, FNH, WWF, SFDE, SHF, mai 2020.

(4) La Part sauvage du monde. Penser la nature dans l’Anthropocène, Virginie Maris, Seuil, 2018.

Écologie
Publié dans le dossier
Les luttes essentielles déconfinées
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