Police et jeunes : l’exemple à suivre

À l’heure où le tout-répressif a atteint ses limites, les centres d’éducation et de loisirs de la police ont démontré leur efficacité dans la prévention. Ils sont pourtant négligés, voire méprisés par l’institution. Reportage à Rennes.

Nadia Sweeny  • 22 juillet 2020 abonné·es
Police et jeunes : l’exemple à suivre
Des enfants du centre social de Marseille partent en mer pour une baignade près des Îles du Frioul, le 24 juillet 2006, lors d’une excursion organisée par le centre de loisirs de la police nationale.
© ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP

Quand Deuija, 18 ans, toque à la vitre du bureau du centre, elle arbore un grand sourire. « J’ai eu mon bac ! », annonce-t-elle tout excitée. Benoît, la quarantaine, policier en poste au centre depuis cinq ans, n’en finit plus de la féliciter. « Batouane l’a eu avec mention », la taquine-t-il.

Dans cette structure à taille humaine, au rez-de-chaussée d’une tour HLM du quartier du Blosne à Rennes, ces réussites ont un goût de promesse d’avenir meilleur pour les jeunes, et de mission accomplie pour les quatre policiers qui gèrent les lieux et les trois adjoints de sécurité qui les accompagnent.

Le Blosne est un quartier populaire de 19 000 habitants classé « reconquête républicaine ». Un nouveau slogan officiel pour dire qu’ici ce n’est pas tous les jours rigolo et qu’on essaie de placer quelques îlotiers pour renouer un lien entre police et population.

Mais, depuis la fin du confinement, les règlements de comptes sur fond de trafics de stups se multiplient. Mitraillage, passage à tabac : le quartier d’une dizaine de tours et de barres, établi à la frontière sud de la capitale bretonne, vit des heures difficiles. Le 23 juin, des policiers ont été pris à partie alors qu’ils tentaient d’interpeller un suspect. Un caillassage en règle : pare-brise éclatés et pneus crevés.

Au milieu de tout ça, le centre d’éducation citoyenne et de loisirs de la police nationale, créé au début des années 2000, fait figure de havre de paix entre les jeunes et les policiers. Une sorte de calumet sous forme de lieu d’accueil et d’activités sportives et culturelles.

« Dans le quartier, ça ne se passe pas toujours bien avec la police, confirme Sélim, 15 ans. Mais au centre, ils sont cool, ce n’est pas pareil. » Sélim est arrivé ici, comme la plupart des gamins, par le bouche-à-oreille. Survêt’-baskets, attablé devant un ordinateur, il joue en ligne avec ses copains, installés à côté de lui.

D’habitude, ça grouille de jeunes : une quarantaine viennent chaque jour. Mais, aujourd’hui, les plus grands sont partis à la plage avec Nicolas, un ancien CRS. La salle de billard et de baby-foot est désertée. La salle de travail aussi. Car, s’il y a beaucoup d’activités sportives et d’animations, « la priorité en période scolaire, c’est le travail », insiste Benoît.

À lire notre dossier complet dans Politis 1612 : « Où va la police ? »

Et la suite dans Politis 1613-1614-1615 :
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Quand la maison enquête sur la maison

Témoignages : Ce que serait une « bonne » police
Politiques de sécurité : aux armes, citoyens !

Police et jeunes : l’exemple à suivre

Tous les jours à partir de 16 h 30, c’est aide aux devoirs. Deuija en a profité dès ses 11 ans. Aujourd’hui, son bac en poche, elle vise l’école d’infirmier·ères. Grâce au réseau du centre, elle a trouvé un job d’été à la mairie de Rennes. « Ici, on est comme une main tendue : aux jeunes de savoir s’ils veulent la saisir ou pas. Certains le font, d’autres non. C’est comme ça, mais c’est un pari qu’il faut faire », estime Benoît. Quand ils la saisissent, les policiers mettent tout en œuvre pour les soutenir, même si certains jeunes participent au trafic.

« Bien sûr qu’on a des “chouffeurs” (1)_, mais notre mission, ce n’est pas la répression »,_ tient à rappeler David Peneau, directeur du centre. « Venir ici n’a pas empêché certains de faire du trafic : beaucoup sont en prison », admet Sélim. « Il y a grosso modo deux types de jeunes : ceux qui sont déterminés à continuer et ceux qui sont influençables… Si, par nos actions, on peut en sortir un de l’engrenage, c’est déjà une victoire », clame Benoît.

« Tous les flics devraient passer trois mois dans un centre comme celui-là. »

Le centre est un petit bout de la police de proximité disparue après le passage de Nicolas Sarkozy à l’Intérieur. « Une erreur totale, assène le directeur. On a perdu du lien et c’est très long à reconstruire. »

Tout le monde se souvient des paroles de l’ancien ministre en visite au centre de loisirs des jeunes (CLJ) de Toulouse : « Les policiers ne sont pas faits pour jouer au football avec les jeunes. » Elles ont coûté cher à la crédibilité de ce type de lieu. « Nous avons réussi à survivre grâce à notre partenariat avec l’Éducation nationale » : des élèves en exclusion temporaire d’un établissement scolaire peuvent être accueillis ici.

« On travaille à fond sur l’âge charnière des 11-15 ans. » Leur donner un cadre, les occuper pour éviter de traîner, leur permettre de sortir du quartier, de penser par eux-mêmes en dehors du très puissant effet de groupe… le tout en déconstruisant la « haine » de la police. Même si « la haine et la délinquance n’ont parfois rien à voir », détaille Benoît. Un « voyou » peut tout à fait avoir du respect pour la police. « Les jeunes qui ont été au centre sont nettement plus mesurés sur la police que les autres », confirme Deuija.

Au-delà de l’image, « on débriefe aussi leurs expériences avec la police, explique Benoît_. On leur dit “vous n’avez pas à avoir peur” »._ Alors, les jeunes racontent. C’est ce qu’a fait Sélim lorsqu’un soir il s’est fait tabasser par trois inconnus sortis d’une voiture. « J’ai pensé que c’était la BAC, mais en fait je ne sais pas. » Depuis, cette histoire le travaille. « On en a beaucoup discuté avec lui… Si j’identifiais un policier qui fait ça dans le quartier, j’irais discuter avec lui pour me faire un avis objectif sur ce qu’il s’est passé. Ensuite, je verrais… », promet Benoît.

La relation avec les autres policiers n’est pas toujours simple. Méconnus, voire déconsidérés, ces centres n’ont pas toujours la cote dans la maison. Dans un centre en Île-de-France, qui permet aux policiers du commissariat d’utiliser la structure et de cohabiter avec les jeunes, ça a failli tourner à la bagarre.

« Un collègue de la BAC a mal parlé aux jeunes, qui sont pourtant vraiment chouettes, alors je les ai défendus », se souvient un encadrant. Une altercation éclate. La hiérarchie est avertie. « Certains collègues pensent que le CLJ, c’est la planque, témoigne le policier. On nous dit : “Vous faites du sport avec ceux qui nous caillassent”. » Depuis, les choses ont un peu évolué : « On est davantage sollicités par le commissariat, le lien se crée progressivement. »

À Rennes, avant que la journée ne se termine, Christophe est venu faire un coucou. Ancien CRS, il a passé un an et demi ici avant d’intégrer les équipes de nuit de police-secours. Aujourd’hui, il veut revenir. « Ici, c’est l’une de mes meilleures expériences policières ! clame-t-il. Ça a complètement transformé le regard que je portais sur les jeunes, le quartier, etc. Je me suis remis en question. Tous les flics devraient passer trois mois dans un centre comme celui-là. Ça changerait l’optique de certains collègues. »

De temps en temps, il recroise des jeunes qu’il a côtoyés au centre, « dans la rue ou en garde à vue, ça se passe toujours très bien. Ils ont gardé de moi cette image de bienveillance, même si je reste intraitable sur la loi ».

Les encadrants n’oublient jamais qu’ils sont policiers. « Une partie de l’âme du centre en dépend », insiste Benoît. Lui aussi a crapahuté dans la maison avant d’atterrir là : BAC de Clichy-Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, police aux frontières, service d’intervention en Bretagne, d’où il est originaire.

« Un collègue m’a dit : “Je te verrais bien dans ce centre.” J’ai dit non : je ne connaissais pas. Puis je suis venu en détachement et je m’y suis plu. Il y a un énorme à travail à faire ici ! » Un travail qui donne un sens nouveau à la mission, au-delà du tout-répressif. Ici, on s’attaque à une partie des causes, et pas seulement aux conséquences.

En France, il existe 32 centres similaires – souvent autrement appelés centres loisirs jeunesse. Certains sont ouverts toute l’année, d’autres seulement pendant les vacances. Goutte d’eau dans la mer, ces lieux sont globalement sous-exploités.

Ils dépendent de subventions qu’ils doivent réclamer tous azimuts aux collectivités territoriales, à la CAF, etc. Le seul réel soutien du ministère de l’Intérieur – et non des moindres – est la mise à disposition de fonctionnaires.

Mais l’articulation avec le reste des effectifs n’est pas suffisamment investie. « Un CLJ, ça ne fait la carrière de personne là-haut ! » soutient un policier. Ici, pas de réelle « performance » chiffrée : le lien, ça ne se calcule pas. À Rennes, David Peneau l’a bien compris : « Les chiffres, ce n’est pas ce qui fait ma satisfaction. »

(1) Guetteurs.

Société Police / Justice
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