Procès OAS : « Je voulais être un martyr, un héros de ma cause »
Depuis deux jours Logan N. est interrogé sur son idéologie néo-nazie et ses projets d’attentats. Cette plongée dans le milieu nationaliste entre nostalgie de l’Algérie française, propagande ultra violente et préparatifs, dévoile une radicalisation qui rappelle celle des jihadistes.
C’ est comme en cuisine », écrit Logan Ni. à Louis M., l’un de ses compagnons qui lui demande conseils sur le degré d’acide chlorhydrique nécessaire pour que ça marche. « Je mets du 23% mais pas du 30. J’ai fait quatre supermarchés je n’ai trouvé que du 23. » Logan, chef du groupuscule OAS – pour Organisations des Armées Sociales – s’étonne : lui en a trouvé. Il a même réussi finalement à créer une substance « franchement stable » s’en félicite et se plaint : « Mon frigo pue l’acétone. » Les deux confectionnent « du peroxyde d’acétone » , ou TATP, un explosif très instable mais facile à faire avec des ingrédients accessibles. Surnommé par les jihadistes « la mère de Satan », il a été utilisé pour les attentats du 13 novembre, ceux de Bruxelles ou encore de Manchester…
Ce jeudi 23 septembre au troisième jour du procès de six jeunes hommes accusés d’association de malfaiteurs terroriste (Voir le résumé de l’audience du 21 septembre), on entre dans les détails des préparatifs. On absorbe des bribes d’éléments inquiétants mais dont on peine à déterminer l’état d’aboutissement réel. Dans le dossier lu en partie par le président de la 16ème chambre du tribunal correctionnel de Paris, il est question de caisses de grenades – jamais retrouvées. Ont elles été commandées ? Pour quoi faire ? Au parloir à l’été 2017, alors qu’il vient d’être incarcéré, Logan évoque des synagogues. Il se procure un téléphone portable et communique avec son groupe qui s’affole. Thomas A. est prié de détruire les bouteilles d’acide qu’il était censé avoir acheté sur ordre de Logan, pour fabriquer un autre explosif, le RDX. Aujourd’hui, l’ancien chef de cette néo-OAS se défend :
J’ai juste dit d’acheter du matériel pour en fabriquer mais pas d’en fabriquer. On n’avait pas de cible. Pas de projet de faire exploser quelque chose. On fantasmait juste d’avoir des explosifs.
Seront pourtant évoqués le chantier de la mosquée de Vitrolles, le centre culturel musulman… et même d’égorger Christophe Castaner ou de s’en prendre à Jean-Luc Mélenchon. Ce que réfute le prévenu.
Ce qui est sûr, c’est que celui qui est encore en détention provisoire voulait acquérir des armes : Remington, fusil semi-automatique calibre 12, AK47, Beretta 92, Taurus – marque de revolver type magnum. « Je viens d’une famille de tireurs sportifs. Je suis passionné d’armes », dit-il. Dans d’autres messages, ce militant FN entre 2016 – 2017, prétend avoir pris contact avec des réseaux serbes. 2.500 euros le RPG, lance-roquette anti-char. Il explique auprès de son groupe, vouloir en ramener après un ou deux voyages fructueux en Bosnie. « C’est cher », commente un de ses amis.
D’innombrables références nazies
Comment trouver l’argent ? Ils imaginent des extorsions. Des braquages d’entreprises ou d’armureries. Quelques-unes sont repérées mais le commissariat est trop proche : ils pensent alors à crever les pneus des voitures de police.
Un projet global se dessine. Logan prétend que ce n’était qu’un fantasme. Que rien de tout ça n‘est réel. Qu’il voulait juste se la raconter pour exister dans son milieu nationaliste, dans ce groupuscule dont il est le chef. Aucun élément ne vient effectivement prouver qu’il est vraiment entré en contact avec le milieu serbe. Mais il y a des calculs d’itinéraire. Un vol de voiture et de passeport pour passer la frontière. Une prise de contact avec des jeunes femmes pour conduire le véhicule. Fantasme de jeune en mal d’action violente ou groupe terroriste au bord du passage à l’acte ? Difficile à dire.
La propagande qu’ils distillent depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux renvoient à des projets bien plus funestes qu’un simple délire de gamins. Au tribunal judiciaire de Paris, toute l’après-midi du mercredi 22 septembre a été consacrée à passer en revue le bain idéologique du groupe. Sur Facebook, Logan se définissait comme « chasseur à Utoya » – en référence au terroriste norvégien Anders Breivik, auteur d’un attentat qui a tué 77 personnes. « À cette époque, pour moi ce n’est qu’un chiffre », explique le chef du groupe qui écrivait sur les réseaux sociaux :
Je rêve d’un pays où on dépisterait les homosexuels à la naissance et on les exterminerait.
Chez lui la police retrouve plusieurs armes et un drapeau nazi. Il utilise aussi pour communiquer une boite mail : klausbraun – en référence à Klaus Barbie et Eva Braun, la maîtresse d’Adolf Hitler. Par messages, ils se donnent du « heil camarade »… Les références nazies sont innombrables et elles se mêlent aisément à celles de l’Algérie française.
Un imaginaire Algérie française
Déjà, la structuration de l’Organisation des Armées Sociales, pensée par Logan N. ressemble à l’OAS historique qu’il avoue avoir voulu régénérer. (Voir le résumé de l’audience du 21 septembre) Chaque membre doit remplir sa fiche de recrutement dans laquelle figure nom, prénom, adresse, sports pratiqués, section à laquelle il appartient. Lui est alors attribué un numéro de membre et un surnom… Maladroit pour un groupe qui se veut clandestin.
L’entrée dans cette organisation cloisonnée est marquée par une cérémonie de remise de bérets – une couleur en fonction de son rang. Un symbole inspiré du milieu militaire que ces jeunes puisent, là encore, dans l’imaginaire de la guerre d’Algérie qui apparaît de nouveau comme un évènement particulièrement structurant pour les générations suivantes – qu’elles soient descendantes de ceux qui ont subi la colonisation comme de ceux qui l’ont défendu. « On est sympathisant de l’Algérie française à 100%. Pour nous, on ne soutient pas des terroristes mais des gens qui ont sauvé des membres de nos familles », explique Romain P qui occupe le grade de commandant dans le groupuscule. « On est tous pied-noirs », ajoute-t-il.
« L’OAS est bien vu à l’extrême droite, renchérit Logan N. Les choses qu’ils ont commises en France ne sont pas vraiment évoquées, on ne se concentre que sur les choses graves : ils ont défendu les français en Algérie et les harkis. » L’architecte de la régénérescence fantasmée du groupe paramilitaire historique a même rencontré Philippe de Massey, ancien spécialiste du renseignement au sein de la 25eme Division Parachutiste, condamné à 15 ans de prison pour sa participation au coup d’état contre de Gaulle en 1961 avant l’amnistie de 1968. « Il nous a raconté sa tentative de coup d’état. Comment ils étaient organisés », raconte depuis son box vitré le jeune homme qui prétend pourtant qu’il ne s’en est pas inspiré. Et se justifie :
Je suis petit fils d’une rapatriée, certes de Tunisie, mais c’est à peu près la même histoire. Ce qu’ils auraient pu faire à ma grand-mère… ça me déplaît. Il y a une dimension personnelle.
Ratonnade initiatique
La haine du monde arabo-musulman constitue le noyau dur de leur engagement. Autour gravite évidemment tout ce qui se rapporte à l’immigration, à l’altérité ethnique et idéologique. Les attentats jihadistes vont accentuer ce phénomène. Le 14 novembre 2015, Logan envoie un message à sa mère : « Je ne supporte plus ce pays gauchiste gangréné par les arabes. Soit je les tue tous, soit je quitte le pays. » Sur le téléphone portable de son ami Geoffrey H., assit aussi sur le banc des prévenus, sera retrouvée une photo de Logan sur fond bleu avec le message : « Ensemble pour le génocide. »
Tout est bon pour alimenter cette haine vorace. Logan utilise même l’affaire familiale de Geoffrey H. dont la sœur aurait « disparu » quelques jours. En réalité elle a fugué suite à une altercation violente avec son père, condamné plus tard pour coups et blessure. Logan, informé de la nature intrafamiliale de l’affaire va quand même répandre la rumeur d’un enlèvement « par des arabes ». Diffusant l’idée qu’elle est probablement dans une cave, en train de se faire violer… le message à son groupe est sans équivoque :
N’ayez aucune compassion pour les arabes. Ce sont nos ennemis, ils ne méritent que notre cruauté.
La procureure s’étouffe : « La veille de ces messages, vous échangez avec M. H. à propos de sa sœur. Il vous dit que c’est son père… pourtant, le lendemain vous construisez une autre histoire ! »
Et puis il y a le rite initiatique d’entrée dans l’OAS. La « ratonnade » que Logan définit comme « un groupe qui frappe une personne, noire, maghrébine ou gauchiste ». Un soir de 2017, ils partent à quatre avec Thomas A., bras droit de Logan, dans les rues de Marseille. Deux doivent être testés : l’un est mineur, il apparaît déterminé. Les ordres de Logan : « Quand on trouve un maghrébin ou un africain : je veux que vous le frappiez et que vous contrôliez votre adrénaline. Je veux entendre les mouches voler pendant que vous frappez la personne. » Un homme a le malheur de faire leur rencontre. Son profil ? « Personne de couleur » répond Logan mécaniquement. « On se dit : allez c’est pour lui. » Logan et Thomas regardent la scène : « Pour qu’il n’y ait pas de problème particulier » pour leur propre groupe évidemment… parce que pour l’homme « de couleur » c’est une autre affaire. Il reçoit d’abord un coup derrière la tête, se baisse et a le réflexe de partir en courant. Il sème les jeunes nazillons. Dans le tribunal Logan N. souffle alors : « Justice va être faite à cet homme et il ne le saura jamais »…
Effet miroir
Logan N. qui ne rechigne pas à s’exprimer semble osciller entre une grande sincérité et l’impression qu’il ne réalise pas l’ampleur de ce dont il est question. Des projets d’attentats que tout le monde le soupçonne d’avoir imaginé et d’avoir tente de mettre à execution. Devant la police, puis le juge d’instruction, les plus jeunes recrues du groupe, 16 ans à l’époque, ont clairement évoqué un « gros carnage projeté » :
– Logan voulait faire une tuerie de masse : à deux sur une moto, le mec derrière est armé : on passe à côté d’une mosquée et on tire dans le tas, déclare l’un des trois mineurs qui seront jugés devant un tribunal pour enfants.
– L’auriez-vous suivi ? demande le policier
– Je pense
Le président questionne alors le principal accusé : « Votre organisation a agrégé des jeunes mineurs particulièrement déterminés. Vous les poussez sans cesse vers l’action armée. Comment êtes-vous certain que l’un d’eux ne va pas faire un attentat comme celui de Nice ? »
Logan explique que beaucoup ont projeté des idées qui ne sont pas les siennes. Le magistrat évoque alors un échange au parloir avec sa mère. Nous sommes en juillet 2017. Logan est incarcéré depuis quelques semaines :
– J’aurai préféré prendre dix ans et avoir fusillé quelqu’un alors que là, je suis là pour rien, s’énerve-t-il. À cette époque il continue d’envoyer des messages à ses comparses pour les motiver.
– C’est peut-être un mal pour un bien : la police t’a sauvé la vie, lui dit sa mère.
– Ce sont des chiens de la République, la pire des races : un flic, c’est un voyou en uniforme.
Le jeune homme qui paraissait jusque-là inflexible, vacille. Ne se sent pas bien. L’audience est suspendue.
Quand il revient derrière la vitre de son box, sa voix est tremblante : « J’essaye de dire ma vérité d’hier avec ma réalité d’aujourd’hui. Nous étions des monstres. J’étais un monstre et j’en suis conscient. Je voulais être un martyr, un héros de ma cause. »
Le président s’octroie alors une réflexion personnelle :
– Quand j’ai lu ce dossier j’ai été fasciné par l’effet miroir de votre chemin initiatique avec celui des jihadistes. Dans votre construction intellectuelle vous êtes extrêmement proche de ceux que vous prétendez combattre et qui sont terroristes… Le terroriste ce n’est pas que l’autre…
Logan répond calmement :
– J’ai discuté avec des terroristes islamistes en détention et j’y ai vu des points communs. J’ai été radicalisé, c’est vrai. Mais moi, j’ai fait ça avec un sentiment patriotique. Ce n’est pas la même chose…
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