Mimmo Lucano : « L’histoire, c’est nous »

Traduction de la lettre de Mimmo Lucano lue sur la place de Riace, en Calabre, le 3 octobre.

Mimmo Lucano  • 20 octobre 2021
Partager :
Mimmo Lucano : « L’histoire, c’est nous »
Mimmo Lucano en 2019, lors d’une conférence à l’université de Rome.
© Christian Minelli/NurPhoto/AFP

Il est inutile de vous dire que j’aurais voulu être présent avec vous, non seulement pour les salutations formelles, […] mais pour profiter de cette sensation de spontanéité, pour sentir l’émotion que les paroles créent dans l’âme ; enfin, pour vous remercier un par un, tous, dans une accolade collective forte, avec toute l’affection dont les êtres humains sont capables.

À vous qui êtes un peuple en route vers un rêve d’humanité, vers un lieu imaginaire de justice, à vous qui mettez votre engagement quotidien pour défier même l’inclémence du temps, je dis merci. Le ciel est traversé par de sombres nuages, les mêmes couleurs, la même vague noire dans les cieux d’Europe, qui bouchent les horizons indescriptibles de cimes, abysses, terres, douleurs et croix, cruauté de nouvelles barbaries fascistes.

Ici, dans cet horizon, il y a les peuples. Et avec eux les souffrances, les luttes et les conquêtes. Les faits croisent les événements politiques, les problèmes cruciaux de toujours, des menaces d’expulsions renouvelées aux attentats, à la mort et à la répression.

Aujourd’hui, dans ce lieu de frontière, dans ce petit pays du sud de l’Italie, terre de souffrance, d’espoir et de résistance, nous vivons un jour historique. L’histoire, c’est nous. Avec nos choix, nos convictions, nos erreurs, nos idéaux, nos espoirs de justice que personne ne pourra jamais effacer. Un jour viendra où les droits humains seront davantage respectés, il y aura plus de paix que de guerre, plus d’égalité, plus de liberté que de barbarie. Il n’y aura plus de gens qui voyagent en business class et d’autres entassés comme de la marchandise humaine arrivant des ports coloniaux avec les mains agrippées aux vagues de la mer de la haine.

Sur ma situation et mes aventures judiciaires, je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce qui a déjà été largement raconté. Je n’ai ni rancœur ni revendications envers personne. En revanche, je voudrais dire à tout le monde que je n’ai aucune honte, rien à cacher. Je referais les mêmes choses, qui ont donné un sens à ma vie. Je n’oublierai jamais ce merveilleux fleuve de solidarité. Je vous garderai longtemps dans mon cœur. Il ne faut pas renoncer : si nous restons unis et humains, nous pourrons caresser le rêve de l’utopie sociale.

Je vous souhaite d’avoir le courage de rester seuls et l’ardeur de rester ensemble, fidèles aux mêmes idéaux. D’être désobéissants à chaque fois que nous recevons des ordres qui humilient notre conscience. De mériter que l’on nous appelle « rebelles », comme ceux qui refusent d’oublier face à ce temps d’amnésies obligatoires. D’être obstinés au point de continuer à croire, contre toute évidence, que cela vaut la peine d’être des hommes et des femmes. De continuer à marcher malgré les chutes, les trahisons et les défaites, parce que l’histoire continue, même après nous, et quand elle dit « adieu », en réalité, c’est un « au revoir ».

Il nous faut nous souhaiter de maintenir vivante la certitude qu’il est possible d’être contemporain de tous ceux qui vivent animés par la volonté de justice et de beauté, partout, parce que les cartes de l’âme et du temps n’ont pas de frontières.

Signer l’appel pour Mimmo Lucano

Monde
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

La Brigade rouge : un poing c’est tout !
Portfolio 20 novembre 2024 abonnés

La Brigade rouge : un poing c’est tout !

Pour pallier les carences et manquements de l’État indien, l’ONG la Brigade rouge s’est donné pour mission de protéger et d’accompagner les femmes qui ont été victimes de viol ou de violences sexistes et sexuelles. Reportage photo.
Par Franck Renoir
À Koupiansk, en Ukraine, « il ne reste que les vieux et les fous »
Reportage 20 novembre 2024 abonnés

À Koupiansk, en Ukraine, « il ne reste que les vieux et les fous »

Avec les rapides avancées russes sur le front, la ville de Koupiansk, occupée en 2022, est désormais à 2,5 km du front. Les habitants ont été invités à évacuer depuis la mi-octobre. Malgré les bombardements, certains ne souhaitent pas partir, ou ne s’y résolvent pas encore.
Par Pauline Migevant
À Valence, un désastre climatique et politique
Reportage 20 novembre 2024 abonnés

À Valence, un désastre climatique et politique

Après les terribles inondations qui ont frappé la région valencienne, les réactions tardives du gouvernement de Carlos Mazón ont suscité la colère des habitants et des réactions opportunistes de l’extrême droite. Pour se relever, la population mise sur la solidarité.
Par Pablo Castaño
Pourquoi les Démocrates ont perdu l’élection présidentielle
Analyse 13 novembre 2024 abonnés

Pourquoi les Démocrates ont perdu l’élection présidentielle

Après la défaite de Kamala Harris, les voix critiques de son parti pointent son « progressisme », l’absence de considération des classes populaires et le coût de la vie aux États-Unis. Les positions centristes de la candidate pour convaincre les électeurs indécis n’ont pas suffi.
Par Edward Maille