Eau : L’or bleu aux mains des traders
Avec les périodes de sécheresse en Californie et l’arrivée de spéculateurs, le prix de l’eau a doublé à la Bourse de Chicago.
dans l’hebdo N° 1683 Acheter ce numéro
Quand l’eau manque, l’argent ruisselle. Du moins pour ces financiers sans scrupule qui, profitant des périodes de sécheresse en Californie, n’hésitent pas à faire monter les prix. Pour eux, le dérèglement climatique est un avenir rentable. Des feux de forêt massifs au printemps ? Un manque cruel de précipitations ? Voilà l’indice de l’eau qui bondit. Entrée en Bourse, à Chicago et sur le Nasdaq, le 7 décembre 2020, la ressource naturelle, à laquelle 2,2 milliards de personnes manquent d’accès, a vu la valeur de son indice quasiment doubler en quelques mois, passant de 496 dollars par acre-pied (un peu plus de 1 200 mètres cubes) au soir de la première clôture à 925 en septembre 2021.
Dans ce contexte de rareté, les grands consommateurs que sont les agriculteurs, les industriels et les villes suivent le cours de l’eau et sont contraints d’acheter pour anticiper leurs stocks. Les traders profitent de cette inquiétude pour spéculer sur un prix toujours plus important. « Pour eux, l’eau est une denrée comme une autre. En cela, elle ne devrait pas échapper aux lois du marché », pointe Jean-Claude Oliva, président de la Coordination Eau Île-de-France, un collectif à l’initiative d’un rassemblement à Paris, mardi 7 décembre, contre la marchandisation de l’eau.
La production agricole pourrait ne pas en sortir indemne.
Une panique financière est déjà intervenue pour les denrées alimentaires et les hydrocarbures confrontés à ce même type de marché, dit « à terme », où les transactions se basent sur la négociation d’un prix futur. Elle avait provoqué une importante bulle spéculative. Mais, à la différence de ce secteur – tout aussi vital –, l’indice ne se base pas sur des données publiques. Son calcul est réalisé de manière confidentielle et privée par l’entreprise financière CME Group. C’est ce que notent deux chercheuses américaines, Ellen Bruno et Heidi Schweizer, dans une note publiée sur le site The Conversation. Elles pointent aussi le manque de visibilité de ce marché dû à l’imprévisibilité des épisodes de sécheresse : « Un marché à terme ressemble plus à un lancer de dés qu’à une spéculation rationnelle », concluent-elles. Ces deux facteurs expliquent, selon elles, le faible nombre de transactions passées chaque jour. Et pourraient conduire à l’échec de cette entrée en Bourse.
D’ici là, la production agricole en Californie pourrait ne pas en sortir indemne, en raison des prix trop élevés. Si cet État américain permet depuis plusieurs années à des firmes d’acheter et de vendre des droits d’utilisation d’eau, l’entrée en Bourse et le risque spéculatif menacent désormais tout le secteur. Un dangereux appel d’air pour la plus importante puissance agricole des États-Unis.
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