Agriculture : « La cellule Déméter n’est qu’une opération de communication »
Ce groupe de gendarmes est chargé de prévenir des « actions de nature idéologique » contre des exploitations agricoles. La justice a sommé l’État de recadrer les missions de la cellule, mais n’a pas acté sa dissolution.
En décembre 2019, lors d’un déplacement soigneusement préparé dans une ferme du Finistère, Christophe Castaner alors ministre de l’Intérieur avait annoncé la naissance de la cellule Déméter. Une obscure officine pour lutter contre les « actes crapuleux » (vols, dégradations…) et appréhender les « actions de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques. » Une convention avait été signée entre la gendarmerie nationale et les deux syndicats agricoles majoritaires, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes Agriculteurs.
Les associations Générations Futures, Pollinis et L214 avaient saisi la justice pour dénoncer le but implicite de Démeter : la répression des militants opposés au système agricole intensif. Le 1er février, le tribunal administratif de Paris a rendu son jugement : il demande au ministère de l’Intérieur « de faire cesser les activités » de prévention des « actions de nature idéologique » de la cellule Demeter dans un délai de deux mois sous peine d’une astreinte de 10 000 euros par jour.
Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement, décrypte ce jugement et les dessous de la cellule Demeter qui n’est rien d’autre qu’une opération de communication ratée.
Qu’est-ce que ce jugement du tribunal administratif nous révèle de cette cellule Déméter, lancée en 2019 ?
Arnaud Gossement : L’État, par le biais du ministère de l’intérieur, a signé une convention avec deux syndicats agricoles « visant à renforcer la sécurité des exploitations agricoles » et à améliorer les échanges d’informations selon le point 4 du jugement. Or, il n’y a pas besoin de contrat pour solliciter des informations et les exploiter. Fait assez unique dans l’histoire de la gendarmerie : cette cellule a été créé par le ministère de l’Intérieur tout seul, et ses missions ont été définies par un dossier de presse ! Le juge souligne que cette cellule avait deux missions : la première correspond à celle classique de la gendarmerie nationale, à savoir la prévention d’infractions pénales, puis la répression si ces infractions ont été commises. Ici, la particularité est que cette mission est ciblée vers les exploitations agricoles. Rien d’anormal mais il est légitime de s’interroger sur la nécessité de faire un communiqué de presse là-dessus. La deuxième mission parle de prévention des « actions de nature idéologique ». Ce sont des termes assez creux, mais on comprend ce qui se cache derrière : la surveillance d’organisations militantes comme L214, qui pénètre dans des élevages. La cellule Déméter n’est qu’une opération de communication, puisqu’il n’y a pas de lois ou de décrets qui définissent son existence et ses missions. Cela a surtout fait beaucoup de publicité aux organisations militantes ciblées.
Cette expression « actions de nature idéologique » résume le flou qui entoure cette cellule Déméter depuis le début…
Oui, et ce flou assez inquiétant a été pensé pour répondre à une demande de la FNSEA qui consistait non pas à réprimer les infractions, éventuellement commises par les associations, mais leur discours. Quand on dit « actions de nature idéologique », on n’est pas loin de créer une police de la pensée. Le juge a rappelé que la gendarmerie nationale n’a pas pour mission d’empêcher des personnes de penser et de s’exprimer sur les animaux ou l’antispécisme. Sur ce point, je comprends que les associations estiment avoir obtenu une chose importante.
La cellule Déméter est-elle dissoute pour autant ?
Il n’y a pas de dissolution de la cellule Déméter. D’une certaine manière, elle n’a pas d’existence légale : le terme « cellule » montre bien qu’il ne s’agit pas vraiment d’une nouvelle institution, administration ou organisation. Il n’y a pas lieu de dissoudre ce qui n’est en réalité que du management, une organisation de travail de fonctionnaires. Le juge dit que le ministre de l’Intérieur ne pouvait pas confier une mission mal définie et inutile. Inutile parce que le jugement prend soin de préciser que cette mission n’a pas été effectuée, tout simplement parce qu’elle ne sert à rien.
Ce jugement n’est-il pas surtout un camouflet pour le ministère de l’Intérieur ?
Le juge rappelle que le ministère de l’Intérieur a commis une erreur de droit : il ne pouvait pas définir la mission des forces de l’ordre tout seul, par un communiqué de presse. Il s’est exonéré d’un débat au Parlement sur les missions de la gendarmerie nationale car je pense qu’une telle loi n’aurait jamais été votée ou n’aurait jamais résisté au contrôle du Conseil constitutionnel. La gendarmerie nationale ne doit pas recevoir de missions politiques, être utilisée pour trancher un conflit entre des organisations militantes et le ministère de l’Intérieur.
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