Soirée électorale : le journalisme par le vide
Entre déliquescence éditoriale et absurdité télévisuelle, les exercices médiatiques de cette soirée du second tour de la présidentielle nous ont offert une certaine idée du néant.
Mais quelle idée nous a pris d’allumer la télévision plus d’une heure avant le couperet fatidique de ce deuxième tour de l’élection présidentielle ! Le devoir de rendre compte, peut-être. Et l’abnégation, sûrement.
Premier passage obligé pour toutes les chaînes : l’estimation de l’abstention. C’est probablement l’information politique la plus importante avant 20 heures. Et tout l’enjeu consiste donc à nous faire patienter jusqu’à l’heure du verdict final. Le système médiatique électoral nous propose alors sa lente agonie.
Sur TF1 et France 2, le téléspectateur est lancé, telle une balle de tennis, d’un terrain à l’autre : les lieux de rendez-vous des candidats où l’on scrute l’arrivée des proches, le nombre de personnes qui affluent aux soirées des candidats, les bureaux de vote, où l’on montre fièrement la table blanche où seront dépouillées les enveloppes. Puis nous voilà embarqués de longues minutes à moto derrière des voitures noires. Est-ce le Président ? Non : la voiture tourne à Matignon. Qui est dans la voiture ? Personne ne le sait. Effarante expérience du journalisme par le vide.
« Il ne se passe rien »
Tout à coup, une annonce primordiale : on sert le champagne chez Marine le Pen. Il reste 45 minutes avant les résultats… Nous aussi on se servirait bien une petite coupette pour faire passer la pilule. Sur TF1, le journaliste s’offre une virée chez un fleuriste : « Vous n’avez pas voté », affirme-t-il à un employé sidéré. On attend alors l’explication politique d’un geste fort. « Non ça ne m’intéresse pas. » Le journaliste relance _: « Mais vous ne vous disiez pas que vous ne vous sentiez pas représenté ? »_ L’employé réitère : « Non, ça ne m’intéresse pas. » Fin de la séquence. Même les micro-trottoirs furtifs affichent leurs limites. Sur France2, une journaliste, micro à la main, fait le tour en boucle de la place de la Concorde à l’arrière d’une moto presse : « C’est là que Marine Le Pen a prévu de faire la fête si elle gagne mais là, au moment où je vous parle, il ne se passe rien », clame-t-elle. Décidément, trop de terrain tue le terrain.
À 19h40, France Info est pour sa part déjà passée aux législatives. La chaîne a mis en place un procédé moins ennuyeux que ses concurrents : entre deux duplex sur le « terrain », des invités en plateau débattent des différents enjeux de ce scrutin. Sur France2 et TF1, les présentateurs jouent les passe-plats d’un lieu à un autre. Mais à 19h50 une vague d’invités politiques débarque : on les attendait presque avec impatience. Sur la chaîne amirale du service public prennent place Ségolène Royale, Louis Alliot (RN), Christian Jacob (LR), Adrien Quatennens (LFI) et… Manuel Valls. Décidément, non : on a trop souffert ce soir pour s’infliger ça. Le premier panel de TF1 paraît plus supportable : Jordan Bardella (RN), Gabriel Attal (LREM), Clémentine Autain (LFI), Rachida Dati (LR) et Delphine Batho (Génération écologie).
Le compte à rebours démarre à 5 minutes du résultat des urnes. Et on réalise qu’aucun débat ne commencera avant sa proclamation. Hébété, on s’inflige les quelques minutes de néant restantes avant que la nouvelle tombe enfin : Macron est réélu à 58%. Avec près de 42%, le score du RN est historique.
Ouvertures et ponctualité
Le débat peut enfin de commencer ! Sur TF1, la logique des trois blocs offre un spectacle huilé : Rachida Dati discute avenir commun avec Gabriel Attal. Jonathan Bardella répond « ouverture » à Éric Zemmour, qui fustige la huitième défaite des Le Pen. Clémentine Autain et Delphine Batho évoquent l’union.
Tout le monde scrute le degré de « satisfaction » de l’équipe présidentielle : il ne faudrait pas que le chef de l’État oublie trop vite qu’il a été réélu grâce aux voix de gauche. Après une longue attente et un retard de 40 minutes sur l’horaire annoncé, Emmanuel Macron et sa femme avancent vers leur podium du Champ-de-Mars, entourés d’un groupe de jeunes : comme un appel à cette frange de Français qui a massivement tourné le dos au président sortant.
Emmanuel Macron est le président le moins bien élu depuis Georges Pompidou : la joie sur les visages est mesurée. On espérerait que ce soit révélateur d’une humilité naissante. « Ce vote m’oblige pour les années à venir », dit-il, affirmant que les cinq années qui viennent ne seront pas « la continuité du quinquennat qui s’achève ».
S’il est aussi sincère que ponctuel, le troisième tour se jouera dans la rue.
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