Le boulanger syndicaliste licencié… malgré l’inspection du travail

Christian Porta, délégué syndical CGT de Neuhauser, une boulangerie industrielle, a reçu notification de son licenciement ce mardi. Une décision manifestement illégale.

Pierre Jequier-Zalc  • 24 avril 2024
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Le boulanger syndicaliste licencié… malgré l’inspection du travail
Christian Porta, au sortir de son entretien préalable à un licenciement, au début de 2024.
© Pierre Jequier-Zalc

Même lui ne s’attendait pas à ça. En quittant son domicile, ce mardi 23 avril, pour se rendre au travail, Christian Porta tombe sur un huissier de justice. Celui-ci lui communique une notification de licenciement pour faute grave avec effet immédiat. Sauf que cette décision intervient quelques jours seulement après un refus catégorique de cette procédure de licenciement par l’inspection du travail. Une décision qui apparaît donc comme illégale.

Mais revenons au début de l’affaire. En février dernier, Politis vous racontait l’histoire de cet ouvrier d’une boulangerie industrielle, Neuhauser, devenu, au fil des ans, un leader syndical de son entreprise, militant de toutes les luttes. Autour de lui se sont construits un syndicat combatif et un collectif de travail soudé, qui a fait de la grève un outil puissant de rapport de force pour obtenir nombre de conquêtes sociales. La principale ? Le passage au 32 heures payées 35.

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De quoi, visiblement, déranger la direction de son entreprise. Le 9 février, Christian Porta a en effet reçu une mise à pied conservatoire et une convocation pour un entretien préalable « pouvant aller jusqu’au licenciement ». La raison ? Un supposé harcèlement moral envers ses supérieurs.

Un salarié protégé

« Nous notons un turn-over beaucoup plus important sur le site de Fürst au sein des postes d’encadrement par rapport aux autres sites. Cela constitue un signe majeur d’un climat social délétère. Ce comportement affecte la santé de plusieurs personnes et a d’ores et déjà provoqué de nombreuses démissions, démissions qui se poursuivront et mettront en péril la pérennité de ce site », justifiait, dans une note interne consultée par Politis, la direction de l’entreprise.

Sauf que la loi est claire : Christian Porta disposant de plusieurs mandats au sein de son entreprise, son licenciement doit, obligatoirement, être validé par l’inspection du travail. L’administration doit ainsi vérifier la régularité de la procédure du licenciement, que le motif de celle-ci soit valable, ou encore l’absence de lien entre la mesure de licenciement et le mandat du salarié.

Les faits de harcèlement ne sont pas matériellement établis.

Inspection du travail

L’inspection du travail a donc étudié le cas de Christian Porta. Et la décision, rendue le 15 avril et que nous avons pu consulter, est sans appel. « Les faits de harcèlement ne sont pas matériellement établis », constate l’inspecteur du travail, qui assure que « la demande de licenciement de M. Porta est en lien avec l’exercice de ses mandats ». Et donc de conclure, logiquement, que « l’autorisation de procéder au licenciement pour motif disciplinaire […] est refusée ».

« Cette décision nous donne raison sur tous les points, en démontant point par point le discours de la direction », se félicite le syndicaliste qui assure que celle-ci a été « fêtée » dans l’usine avec ses collègues. « C’était un vrai moment de liesse », sourit-il. Déjà, en février, le tribunal judiciaire de Sarreguemines saisi en référé lui avait donné raison sur le fait qu’il pouvait continuer à accéder au site de son entreprise.

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Cette joie aura été de courte durée. Neuhaser décide, en effet, de passer outre cette décision. Des voies légales existent pour la contester, notamment en demandant au ministère du Travail de se prononcer sur la décision de l’inspection du travail. Mais ce n’est pas celle-là que choisit la direction de l’entreprise qui décide, tout simplement, de licencier quand même son salarié pour faute grave. Dans la notification de licenciement que Politis s’est procurée, Neuhaser ne prend même pas la peine d’évoquer la décision de l’inspection du travail. Tout bonnement comme si celle-ci n’existait pas.

Pis, la direction de l’entreprise reprend point par point les éléments qu’elle reproche au salarié pour conclure que « la situation de harcèlement moral » est « caractérisée » et qu’elle conduit, de ce fait, au « licenciement pour faute grave ». Les mêmes éléments que l’inspection du travail a donc balayés pour aboutir à une conclusion inverse. Montrant crûment la différence entre une enquête indépendante et une autre, visiblement, partisane. Contacté ce mercredi matin, Neuhauser n’a pas, à l’heure où nous publions cet article, répondu à nos questions.

Un entêtement pénalement condamnable

« C’est un délit, tout simplement », commente un inspecteur du travail, qui avoue n’avoir jamais vu ce type de cas. « Le collègue va sans doute dresser un procès-verbal », note-t-il. « Moi non plus, je n’ai jamais vu ça », commente, ahurie, Elsa Marcel, l’avocate du syndicaliste. Au pénal, Neuhauser et ses dirigeants peuvent être condamnés à un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende. Alors qu’une plainte pour diffamation est déjà déposée, l’avocate du cégétiste assure qu’une nouvelle procédure au pénal est, déjà, envisagée.

On va gagner, c’est certain. On ne peut pas s’asseoir sur la loi comme ça.

C. Porta

Christian Porta va surtout déposer, cet après-midi, un recours en référé au conseil des prud’hommes pour faire invalider son licenciement et pouvoir être réintégré au sein de son entreprise. « On va gagner, c’est certain. On ne peut pas s’asseoir sur la loi comme ça », espère le syndicaliste qui voit, dans le comportement de Neuhauser, « une stratégie d’intimidation » qui vise à « mettre un coup à notre syndicat ». En effet, les élections professionnelles auront lieu en septembre dans l’entreprise. Le cégétiste voit donc dans cette manœuvre une volonté de « dégager la CGT Neuhauser ».

S’il confie que ce licenciement « hyperviolent » lui a « mis un coup », il se dit prêt à retourner au combat. Une date de mobilisation était déjà prévue pour le 25 avril sur la question des négociations annuelles obligatoires (NAO). Elle devrait être d’une tout autre ampleur après ces derniers évènements. « Ça va être gros », promet Christian Porta qui conclut : « Tout cela montre quand même un vrai aveu de faiblesse de notre direction. »

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