Des économistes en campagne
La dissolution brutale de l’Assemblée laissait peu de temps pour élaborer des programmes économiques aboutis. Ces derniers se sont contentés de compiler des slogans jugés porteurs. Les économistes, comme trop souvent, ont été placés en vitrine pour décorer.
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On prête parfois aux économistes une influence qu’ils n’ont pas. Fondateurs de l’économie politique, le physiocrate François Quesnay et le classique David Ricardo aspiraient pourtant à enseigner aux princes les lois de l’économie. Dans la conclusion de sa Théorie générale, John Maynard Keynes louait les obscurs écrivailleurs de faculté, dont les travaux inspireraient tôt ou tard les politiciens. Ces pères fondateurs constateraient amèrement que les programmes économiques sont esquissés de nos jours à l’insu des économistes.
La dissolution brutale de l’Assemblée nationale laissait certes peu de temps pour élaborer des programmes aboutis. Ces derniers compilent de fait les slogans jugés porteurs par des coalitions de circonstance pour capter un segment électoral du marché politique. Au cours de la campagne, le programme du Rassemblement national, en quête de respectabilité auprès de milieux d’affaires étonnamment complaisants à son endroit, s’est ainsi petit à petit réduit à peau de chagrin. Les lobbyistes du monde de la finance pouvaient alors concentrer leurs critiques sur le programme du Nouveau Front populaire.
Astreinte à établir la preuve de sa crédibilité, la gauche convoqua ses économistes attitrés pour se livrer à la figure imposée du chiffrage du programme. Absents des coulisses de l’accord électoral dont il émane, réservées aux « poètes » des partis, ils furent sommés d’en réaliser le service après-vente, en veillant à respecter le mode d’emploi, excluant de creuser les déficits. Pas de quoi, malgré tout, rassurer les marchés. La facture se serait élevée à 150 milliards d’euros de hausses d’impôts en trois ans, sans que d’aucuns ne se soient inquiétés des effets pervers d’un tel choc fiscal.
Pour sa part, le camp présidentiel a, au cours de la période écoulée, superbement ignoré les conseils avisés de Jean Pisani-Ferry en matière de financement (par l’impôt et par l’emprunt) de la transition écologique. Il a méthodiquement respecté l’agenda fiscal sécessionniste fixé par l’Association française des entreprises privées, à l’origine des 63 milliards d’euros de baisses d’impôts réalisés depuis 2017.
Bien que l’économie soit l’infrastructure d’un modèle de développement, le rôle des économistes se réduit à justifier des choix politiques. Telle est la fonction d’un Gilbert Cette, nommé par la Macronie au Conseil d’orientation des retraites à la place de l’intègre Pierre-Louis Bras, ou encore celle de Stéphane Carcillo, à la tête du groupe d’experts sur le Smic pour légitimer la modération salariale. Les économistes sont placés en vitrine pour décorer, tant ce ne sont pas leurs idées qui mènent le monde, mais les intérêts des classes ou des castes en présence. C’est que l’économie politique, en tant que discipline, n’est qu’idéologie au sens de Marx : elle reflète l’idée que les économistes se font du monde dans lequel ils vivent et dont ils sont chargés, chacun dans leur camp, d’interpréter les circonvolutions.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.
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