Triste cynisme

Ce dimanche 1^er septembre 2024, notre journal du soir préféré – Le Monde, donc, où l’alternance régulière d’excellents articles et de tracts qu’on dirait conçus par une officine macroniste n’en finit plus de nous ébahir – publie un papier consacré au meeting de rentrée du député François Ruffin.

Son autrice rapporte d’abord que l’élu de Picardie a de nouveau « appelé », dans cette circonstance, « à construire une gauche ‘des bourgs et des tours’, ‘des quartiers et des clochers’ » – pour se démarquer de La France insoumise, « qu’il accuse d’avoir abandonné les anciennes terres ouvrières et les zones rurales au RN ». Puis l’« envoyée spéciale » du Monde ajoute à ce compte rendu ce jugement tout personnel, et que rien ne vient précisément documenter : « Jean-Luc Mélenchon se concentre, lui, sur les quartiers et la jeunesse, au détriment du reste du territoire. »

Deux remarques sur cette assertion. D’une : on voit mal, dans un pays où 2 000 enfants dorment dans la rue après sept années de macronisme et où les populations des faubourgs sont quotidiennement présentées comme une classe dangereuse par le bavardage dominant, ce qu’il y aurait de spécialement incongru dans le fait d’accorder enfin aux « quartiers (1) » et à la jeunesse l’attention qui leur est partout refusée. De deux – et plus gravement : cette considération vient après beaucoup d’autres, dont Le Monde semble s’être fait, au fil des derniers mois, une spécialité.

Comme celle-ci, en date du 5 mai dernier – avant l’élection européenne : « La gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon croit conquérir des voix musulmanes en faisant de la tragédie de Gaza le centre de sa campagne. » Ou celle-ci, du 28 août : « Jean-Luc Mélenchon [tente] d’exploiter les tensions consécutives au massacre des Palestiniens de Gaza pour conquérir des électeurs issus de l’immigration. »

L’idée que la gauche insoumise serait particulièrement « radicale », quand elle est (…) banalement sociale-démocrate.

La place manque, dans l’espace outrancièrement congru de cette chronique, pour décortiquer de telles affirmations – comme celle qui rabâche, à l’unisson des droites, l’idée que la gauche insoumise serait particulièrement « radicale », quand elle est, dans le monde réel, et au regard de l’histoire du camp progressiste, banalement sociale-démocrate.

Mais on relèvera tout de même que La France insoumise a été presque seule à dénoncer pour ce qu’il était, depuis onze mois, l’abominable massacre en cours à Gaza. Et qu’il y a, dans la répétition obsessionnelle que cette dénonciation serait d’abord motivée par le racolage de quelques voix musulmanes ou « issues de l’immigration (2) », quelque chose de très, très, très incommodant (pour le dire très, très, très gentiment) – qui cependant nous en dit long sur le triste cynisme qui refuse d’envisager que l’attention portée en tous lieux aux plus fragiles d’entre les humain·es puisse parfois s’émanciper de la misère des calculs politiciens.