Le Sénat valide sa version de la république numérique
Début mai, le Sénat a voté à l’unanimité moins une voix le projet de loi pour une République numérique porté par Axelle Lemaire. Le texte, qui diffère sensiblement de la version votée par l’Assemblée, va devoir passer par une commission paritaire avant le vote final.
Le projet de loi pour une République numérique, qui devait être traité en urgence, a été transmis à l’Assemblée nationale le 9 décembre puis au Sénat le 26 janvier. Depuis ça piétine. Le texte est passé entre les mains de cinq commissions, pas moins de 621 nouveaux amendements ont été déposés et la lecture n’a commencée que le 26 avril. Le vote a eu lieu après une semaine de débats assez denses et la version adoptée par le Sénat s’éloigne de plus en plus du projet d’origine. Projet que le gouvernement se flatte d’avoir « co-écrit » avec les internautes, qui avaient pu commenter et ajouter au texte déposé en Conseil des ministres par Axelle Lemaire.
L’un des piliers de cette loi était de « favoriser la circulation des données et du savoir » autrement dit de pousser les administrations à ouvrir leurs données. Une heureuse initiative qui s’est malheureusement depuis vue limitée par plusieurs amendements.
Ainsi la communication des documents administratifs a été restreinte si elle porte atteinte
« au secret en matière commerciale et industrielle », lequel a été étendu par les sénateurs au « secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration […] est soumise à la concurrence ».
Prenons l’exemple de Fourmi Santé, un site comparateur de tarifs médicaux et pharmaceutiques, qui s’était vu en 2012 interdire par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) l’usage de la base de données des tarifs médicaux pourtant publique sur ameli.fr. Il semble clair que la rédaction actuelle ne permettra toujours pas à Fourmi Santé de remettre en ligne son service de comparaison des honoraires des médecins sur un secteur géographique donné.
Idem pour la diffusion des algorithmes permettant de calculer telle ou telle prestation ou d’évaluer son impot par exemple. La loi prévoit que l’utilisation d’algorithmes soit notifiée aux administrés. Mais ne seront pas rendus publics les « codes-sources des personnes publiques ou privées chargées d’une mission de service public dans un secteur exposé à la concurrence ». Dans un cas comme dans l’autre, la raison de ce changement d’orientation se niche dans la récente décision de la Direction interministérielle du numérique d’inaugurer un nouveau concept, la « start-up d’état ». L’idée est que les administrations développent des applications innovantes qu’elles pourront tester en ligne. Plus question donc de libérer des données qui alimenteraient la concurrence privée.
Les sénateurs ont également introduit quelques obligations nouvelles dont la faisabilité n’est pas garantie. Les plateformes collaboratives en ligne type E Bay, Le bon coin, Drivy ou AirBnB auraient l’obligation de déclarer au fisc les revenus annuels dépassant 5 000€. Les opérateurs de plateformes en ligne, qui n’avaient jusqu’ici qu’à supprimer des contenus contrevenant au droit d’auteur après avoir été informés de leur présence, seraient tenus « d’agir avec diligence en prenant toutes les mesures raisonnables, adéquates et proactives afin de protéger les consommateurs et les titulaires de droits de propriété intellectuelle contre la promotion, la commercialisation et la diffusion de contenus et de produits contrefaisants ». Toutes les tentatives pour imposer cette surveillance a priori ont jusqu’ici échouées.
Les sénateurs n’ont pas voulu non plus donner une priorité aux logiciels libres dans l’administration. Cette disposition soutenue par la ministre et massivement plébiscitées par les internautes a été remplacée par un amendement opportun qui se contente de préconiser l’ « encouragement » de l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts.
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