« Rester vertical », d’Alain Guiraudie
Une parabole existentielle, pastorale et politique.
En voilà un qui n’est pas installé dans un « style » ou une recette. Même s’il retravaille de film en film certains motifs, Alain Guiraudie signe avec Rester vertical une œuvre très différente de L’Inconnu du lac, qui pourtant a connu un franc succès. Rester vertical est aussi éclaté (en apparence) que l’Inconnu du lac était concentré, aussi bien géographiquement que dans son action.
Au moment d’écrire ces lignes, il y a quelques heures seulement que les lumières se sont rallumées après la projection pour la presse de ce cinquième long métrage d’Alain Guiraudie, sélectionné cette année en compétition (enfin !). C’est trop peu de temps pour laisser infuser le film en soi alors qu’il ne cesse de surprendre.
Léo (Damien Bonnard) marche sur un causse en Lozère. Il rencontre une bergère, Marie (India Hair), qui a un fusil avec elle en prévision d’une attaque de loups. C’est la scène initiale, qui fait écho au conflit difficile entre bergers et défenseurs du loup, dont les réponses ne sont pas simples. Sans prendre parti, le film cependant va indirectement poser cette question, qui peut être comprise comme une métaphore : quelle attitude tenir face au danger, et finalement face à la mort ? Une métaphore politique, qui résonne avec le titre, Rester vertical, à entendre dans tous les sens, mais évidemment très en phase avec le mouvement Nuit debout et toutes les mobilisations actuelles – Alain Guiraudie ne pouvait le deviner, mais cette concordance ne doit pas lui déplaire.
C’est la première dimension de ce film qui en compte bien d’autres, mais elle est essentielle. Face à la menace, outre ce « rester vertical », qui résonne comme un manifeste, Alain Guiraudie a décidé de célébrer de grands moments de la vie. Telle, bien sûr, une naissance, le réalisateur la filmant frontalement, comme sans doute le cinéma n’a jamais montré un accouchement. Le nouveau-né est l’enfant que Léo et Marie ont fait. Marie étant atteinte du baby blues, Léo prend en charge complètement le bébé. Il se découvre père, et même père seul à s’occuper de l’enfant, et à l’aimer. Même si Léo a une vie, au moins sur le plan des déplacements, erratiques.
Un des éléments les plus étonnants, en effet, de Rester vertical, réside dans la distribution géographique de l’intrigue. La plus grande partie se déroule dans le sud-ouest : c’est là que se trouvent la ferme de Marie et du père de celle-ci, Jean-Louis (Raphaël Thiéry) ; ainsi que la maison d’un vieil homme, Marcel (Christian Bouillette), vivant avec un garçon, Yoan (Basile Meilleurat), dont on devine les relations, ostensiblement houleuses par ailleurs. Mais Léo revient régulièrement dans une ville qui ressemble à Brest. C’est son port d’attache (et le seul décor urbain filmé), assez lâche néanmoins, puisqu’il y vit dans des chambres d’hôtel.
Alain Guiraudie a choisi un acteur, Damien Bonnard, qui lui ressemble et lui a donné comme profession celle de scénariste. Pourtant Rester vertical paraît moins relever de l’autobiographie que du « fantasme autobiographique ». Comme si le cinéaste se projetait lui-même dans certaines situations plus ou moins rêvées, ou cauchemardées. Comme celle de sécher totalement sur un scénario tout en faisant croire à son producteur que le travail avance. Celui-ci finit par se lancer à sa poursuite pour obtenir de lui des pages écrites. La séquence, à la fois burlesque et inquiétante, qui se déroule dans un marais où Léo a apporté à une étrange et charmante guérisseuse (Laure Calamy) son bébé un peu trop agité, évoque une traque. Léo tente de se dissimuler dans un bras d’eau, le scénariste devient une proie. Là encore l’image du loup n’est pas loin.
Rester vertical est aussi une surprenante parabole existentielle – qui prend même parfois des allures évangéliques, quand Léo devient gardien de brebis et se laisse pousser une barbe pastorale – mais toujours extraordinairement sexuée. Alain Guiraudie lie Éros et Thanatos en associant un profond archaïsme à des résonances actuelles. Et l’audace dont il fait preuve est toujours tendue par l’émotion. C’est le cas d’une séquence bouleversante. Le vieil homme, Marcel, finalement seul au monde, se sentant mourir, se suicide en buvant un poison tandis qu’il demande à Léo de le sodomiser pour une ultime fois, sur un morceau de Pink Floyd. D’aucuns ne verront qu’une scène faite pour provoquer. C’est pourtant, là encore, une manière crâne de repousser l’effroi en lui opposant l’abandon et le plaisir.
Quant à Ma Loute, de Bruno Dumont, ce vendredi en compétition et simultanément en sortie nationale, la critique se trouve à cet endroit.
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