Un palmarès à côté de la plaque
Le jury est passé à côté des films les plus forts et les plus singuliers.
Le palmarès du soixante-neuvième festival vient d’être rendu, et je ne peux pas dire qu’il me ravit. En voici un rapide commentaire.
Palme d’or
Moi, Daniel Blake, de Ken Loach
C’est une surprise. Personne ne misait sur lui, qui l’avait déjà emporté avec Le Vent se lève. Entendre Ken Loach développer un discours anti-austérité dans la grande salle du Palais du festival alors qu’on vient de lui remettre la palme d’or est réjouissant, et synchrone quant aux mobilisations qui ont lieu, en particulier en France. En outre, Moi, Daniel Blake n’est pas dénué de scènes marquantes, où l’on reconnaît la patte du cinéaste humaniste et solidaire des classes laborieuses. Mais ce film souffre d’un scénario paresseux, dont certains ressorts semblent avoir été imaginés par un (mauvais) étudiant en cinéma et non par un scénariste aussi chevronné que Paul Laverty, collaborateur de longue date de Loach. Au vu de plusieurs autres films de la compétition, Moi, Daniel Blake ne méritait de tout évidence pas la palme.
Grand prix
Juste la fin du monde, de Xavier Dolan
Un film dont l’hystérie incessante finit par faire contresens avec la pièce de Jean-Luc Lagarce dont il est l’adaptation, sans parvenir à cacher ses propres faiblesses.
Prix du jury
American Honey, d’Andrea Arnold
Le cinéma anglais est décidément à la fête avec ce second prix. Aux Etats-Unis, un groupe de jeunes marginaux traversent le pays pour vendre des magazines. Au bout de vingt minutes dans la camionnette avec ces garçons et filles déglingués, qui, sur un air de rap, fument du crack ou se racontent des craques, on commence à trouver le temps long et à se demander si la cinéaste avait la bonne distance, elle qui semble fascinée par ce qu’elle montre. 2h40 plus tard, on termine ce voyage, qui cinématographiquement fait du sur place, exténué, heureux d’en avoir fini avec la play list envahissante du film.
Prix d’interprétation féminine
Jaclin Jose, dans Ma ‘Rosa, de Brillante Mendoza
Le film du réalisateur philippin, assez impressionnant, plonge son spectateur dans les bas fonds de Manille. Mais ce prix et le titre même, Ma ‘Rosa, sont trompeurs, car l’intrigue mêle plusieurs personnages, et donc autant de comédiens, qui ont tous leur importance. Un prix du jury ou un prix de la mise en scène aurait été plus pertinent.
Prix d’interprétation masculine
Shahab Hosseini, dans Le Client, de Asghar Fahradi
Le comédien ne démérite pas, mais le film a 2 de tension, et se termine sur une longue scène de douce torture d’un vieux monsieur inoffensif.
Prix de la mise en scène
Ex æquo Baccalauréat, de Cristian Mungiu, et Personal Shopper, d’Olivier Assayas.
Le prix de la mise en scène à Cristian Mungiu est le seul de ce palmarès à se justifier. Olivier Assayas s’est perdu dans sa tentative trop timide de mêler le cinéma de genre – le fantastique – à une critique sociale sur la superficialité de notre monde de consommation.
Prix du scénario
Le Client, de Asghar Fahradi
Un scénario dont je recommande la lecture en cas de sommeil récalcitrant.
Caméra d’or
Divines, de Houda Benyamina
La jeune réalisatrice a fait le show quand elle a reçu son prix. Et c’est comme cela que son film, lui aussi, emporte le morceau : à l’abattage. Ses jeunes actrices ont une sacrée tchatche, et on y trouve de belles idées de mise en scène. Mais ce que Divines, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, raconte est beaucoup plus problématique. À savoir : le seul modèle pour une fille qui a du chien dans une cité, c’est de se comporter comme un mec, et de dealer de la drogue. Ah oui ?
Palme d’or d’honneur
Jean-Pierre Léaud
Alors là : respect et amour pour ce comédien qui incarne à lui seul toute la Nouvelle vague.
Quant à mon palmarès idéal, très loin du palmarès officiel, il est ici.
Merci à tous d’avoir suivi cette chronique quotidienne de Cannes. Rendez-vous pour des commentaires et un bilan plus développés dans l’hebdo de jeudi.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don