Grève de la faim contre l’arbitraire
Roland Veuillet était conseiller principal d’éducation au lycée Dhuoda de Nîmes. Á la suite de la grève des surveillants et des aides-éducateurs de janvier 2003, ce militant du syndicat SUD Éducation a été sanctionné injustement et muté disciplinairement de Nîmes à Lyon. Roland n’a pas accepté cette mesure arbitraire portant atteinte à son intégrité personnelle et orientée contre le droit de grève. Si une cabale a été ainsi montée contre Roland par son proviseur et le recteur de l’académie de Montpellier, c’est vraisemblablement aussi parce qu’il est un des rares à s’être opposé à l’introduction expérimentale d’un droit de regard du MEDEF dans cet établissement public à travers la mise en place d’une «plate-forme technologique». Pour plus de précisions sur le contenu de «l’affaire Roland Veuillet» (et signer la pétition de soutien), on peut se reporter à son site : http://roland-veuillet.ouvaton.org/.
Alors, marathonien, Roland a couru pour protester. Depuis trois ans et demi, il a parcouru en courant environ 16500 kilomètres. Il a aussi fait une première grève de la faim de 39 jours, devant le ministère de l’Éducation nationale en août-octobre 2004. Je m’étais alors exprimé publiquement sur sa belle résistance (voir «Roland Veuillet, ou l’individu contre le néolibéralisme», Libération, 20 septembre 2004 ; repris sur le site Bellaciao : http://www.bellaciao.org/fr/article.php3?id_article=9601). Le Conseil supérieur de la fonction publique (CSFP) s’est, depuis, prononcé pour l’annulation de toute forme de sanction à l’encontre de Roland. Mais l’arrogance ministérielle persiste. Depuis le 24 décembre 2006, il a de nouveau entamé une grève de la faim devant le tribunal administratif de Lyon, au 184 rue Duguesclin dans le 3ème arrondissement lyonnais. Si le ministère continue à s’enfermer dans son lâche silence, en couvrant la faute d’un proviseur et d’un recteur, je rejoindrai Roland dans sa camionnette pour une grève de la faim de solidarité d’une semaine, entre le mercredi 31 janvier 12h et le mercredi 7 février 12h. D’autres personnes, conscientes de leur responsabilité individuelle vis-à-vis de l’arbitraire institutionnel, pourraient converger avec ce mouvement citoyen de grèves de la faim de solidarité dans d’autres villes de France.
En tant qu’universitaire, je me dois tout particulièrement de résister à l’injustice là où je travaille, dans l’Éducation nationale. En tant que sociologue de l’individualisme moderne, attentif aux attentes et aux blessures des individualités contemporaines face au poids des dominations, je suis particulièrement sensible au caractère exemplaire de la protestation de Roland. En tant que militant altermondialiste, je suis partie-prenante des nouvelles luttes qui s’inventent à la croisée de l’individuel et du collectif. J’avais déjà accompagné en octobre 2002 à Tunis la grève de la faim du démocrate altermondialiste Sadri Khiari, victime de la répression du régime militaire de Ben Ali, avant d’être arrêté et expulsé au bout de trois jours (voir http://hns.samizdat.net/article.php3?id_article=1804).
Prendre au sérieux la question de l’individu, et la réévaluation de sa place dans les combats collectifs, suppose alors de payer de sa personne. Dans le cas de Roland, on a une situation flagrante où le pouvoir arbitraire d’une administration sur les individus rejoint le nivellement marchand des individus, où la bureaucratie et le néolibéralisme se soutiennent l’une l’autre, où la dignité d’un individu et un principe collectif (le droit de grève) sont également en jeu. Cela rend d’autant plus urgent l’exploration libertaire d’une émancipation indissociablement individuelle et collective contre tout à la fois les oppressions bureaucratiques et la tyrannie du marché-roi. Et cela nous montre que s’il faut impérativement défendre les services publics contre la dérégulation néolibérale, il faut défendre d’autres services publics, transformés, en particulier plus respectueux des individus, travailleurs et usagers.
L’État des Chirac-Sarkozy-de Robien crache à la figure des individus concrets comme Roland, en faisant mine d’assurer la promotion néolibérale d’un «individu» abstrait. Le futur éventuel État de Ségolène Royal se tait pour l’instant face à ce déni de justice. Demeurent les résistances citoyennes pour lesquelles l’entêtement de Roland est un stimulant. N’hésitons pas à lancer une fois de plus un «Ya Basta !» néo-zapatiste face au conservatisme des Puissants de papier qui prétendent gouverner nos vies.
Philippe Corcuff
Maître de conférences de science politique à l’Institut d’Études Politiques de Lyon. Auteur notamment de La société de verre – Pour une éthique de la fragilité (Armand Colin, 2002), La question individualiste – Stirner, Marx, Proudhon, Durkheim (Le Bord de l’eau, 2003), Bourdieu autrement – Fragilités d’un sociologue de combat (Textuel, 2003) et de Politiques de l’individualisme – Entre sociologie et philosophie (en collaboration avec Jacques Ion et François de Singly, Textuel, 2005). Co-fondateur de l’Université Populaire de Lyon; membre du Conseil Scientifique d’Attac,
adhérent du syndicat SUD Éducation.
Pour tout contact pendant la grève de la faim de solidarité (entre le 31 janvier et le 7 février) : téléphone de Roland Veuillet (06-19-68-30-94) et courriel du comité de soutien (soutienveuillet@no-log.org). Site : [http://roland-veuillet.ouvaton.org
->http://roland-veuillet.ouvaton.org]
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don