Anticolonialisme : l’indispensable débat
Une trentaine d’associations organisent une semaine de rencontres
pour fédérer les anticolonialistes et dépasser les clivages qui divisent
la gauche. Les explications d’un des organisateurs, Patrick Farbiaz.
dans l’hebdo N° 939 Acheter ce numéro
Depuis quelques années, la gauche politique, associative et intellectuelle se déchire sur les questions de la laïcité et du passé colonial de la France. Un nouveau clivage est apparu entre partisans d’une « laïcité ouverte » et tenants d’une « laïcité dogmatique », entre ceux qui « ne veulent pas faire l’impasse sur la question coloniale » et « une frange liée à SOS-Racisme qui ne se reconnaît pas dans ce type de débat », explique Patrick Farbiaz, représentant des Verts et organisateur de la Semaine anticoloniale, qui se tiendra à Paris du 17 au 25 février. « La question de l’anticolonialisme revient dans le débat politique, mais de manière un peu brouillée », éclatée, précise-t-il. Le spectre des thèmes et des acteurs est très large. « Chacun a sa mémoire , constate Patrick Farbiaz, les soixante-huitards, les Algériens, les jeunes d’aujourd’hui. Il n’y a plus de mémoire partagée. Il faut une passerelle entre ces différentes mémoires. Il faut fédérer tous ces anticolonialistes et dépasser les divergences. »
Déjà, en 2005, les Indigènes de la République tentent de recentrer le débat avec leur manifeste. Mais celui-ci, perçu comme trop radical, rompt un peu plus le dialogue. « Les Indigènes de la République ont été isolés par une grande partie de la gauche politique sans que le débat ait été mené », rappelle Patrick Farbiaz.
Aujourd’hui, une trentaine d’associations, du Mrap au Collectif féministe pour l’égalité en passant par les Indigènes de la République ou Peuples sans frontière, tentent de relancer la discussion avec cette Semaine anticoloniale. Huit jours de rencontres, de films, de conférences, d’hommages pour clarifier les choses et se réunir. Une vingtaine de manifestations comme un appel du pied à l’ensemble des anticolonialistes : « Si, demain, SOS-Racisme ou d’autres composantes souhaitent participer à cette semaine avec nous, j’en serai ravi. »
Autres invités incontournables : les historiens, qui ont parfois du mal à trouver leur place dans ce débat. « Notre souhait est qu’ils s’emparent de cette semaine. Leur apport nous semble très important. Mais il faut aussi qu’ils comprennent l’impact de cette histoire dans la société française d’aujourd’hui. » Patrick Farbiaz dénonce l’omerta qui règne en France sur la colonisation, ses séquelles et sa mémoire : « Si on ne fait pas le lien entre la mémoire de la colonisation, les luttes anticoloniales, le rôle post-colonial de la France et les représentations de la colonisation aujourd’hui, on ne comprend rien à l’impact de la guerre des civilisations sur nos sociétés, les rapports Nord-Sud, le débat sur le voile ou la laïcité, et sur l’importation du conflit du Proche-Orient. »
Les thèmes et les générations se télescopent, selon Patrick Farbiaz. Mais ne risque-t-on pas de brouiller encore un peu plus le débat ? Patrick Farbiaz ne sous-estime pas le risque, mais il redit la nécessité « d’évaluer le poids de cet héritage sur la société française. Il faut montrer que ce ne sont pas des questions passées mais présentes dans le débat politique d’aujourd’hui. Les mécanismes de la colonisation ont des impacts tant sur les ressources économiques que sur les identités. Il faut aussi faire le lien, aujourd’hui, entre identité et recolonisation économique, entre identité et situation économique des jeunes issus de l’immigration ».
Une semaine de manifestations pour avoir une meilleure compréhension de la réalité d’aujourd’hui, dans une idée de justice : « Il ne faut pas laisser en friche des pans entiers de mémoire et de crimes impunis. » Patrick Farbiaz relève l’exemple de la Belgique, qui a entrepris un travail sur l’assassinat de Patrice Lumumba. « Il faudrait faire un travail du type de la commission Stasi sur la question du rôle de la France dans les crimes post-coloniaux. La question coloniale est une mémoire dont on ne peut pas faire l’économie. »