Courrier des lecteurs Politis 940
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Bon sens
Le bon sens existe-t-il vraiment à propos de cette élection présidentielle de 2007 ? D’un côté, nous avons un agité du cabochon capable de vendre de la viande à un végétarien, et, de l’autre, une gauche aussi turbulente qu’une cour de récréation de CM2.
Si cela continue, c’est le vendeur de bluff qui nous gonflera pendant cinq ans, parce que les garnements n’auront pas eu assez de sagesse pour se serrer les coudes.
Aujourd’hui, dans cette arène, la candidate principale patine par manque de signatures, y compris l’outsider à moustache.
Imaginons un instant : en utilisant la dynamique qui démarre fort autour de cet Astérix, si un petit parti en panne (et j’aimerais que ce soit le mien, les Verts), dans un élan de lucidité, annonçait le premier qu’il va faire équipe avec Bové et engageait les autres à en faire autant, imaginons alors le formidable espoir que cela susciterait !
Si les banlieues (en train de glisser vers Le Pen), les déçus des partis et les sans-voix (qui en ont des milliers) se réveillent, c’est le démon de l’argent-roi qui perdra. La victoire du changement est entre nos mains, pourvu que notre cerveau suive…
Léon Maille, Millau (Aveyron)
De la «~bravitude~» en fiscalité…
Dans l’entretien qu’il a accordé à Politis dans le n° 938, Liêm Hoang-Ngoc, le délégué national àl’économie du PS, nous propose un changement de cap radical en matière de fiscalité : finies les baisses d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés, dont les relèvements programmés seront compensés par une baisse de la TVA, impôt injuste s’il en est.
Le problème, c’est que les discours et les politiques développés depuis vingt-cinq ans en la matière par la droite et par une certaine gauche ont imprimé dans les esprits des attentes inverses. Pour le dire autrement, sur ce terrain, la bataille idéologique a été perdue depuis la conversion au libéralisme d’une bonne partie de la gauche. Du trop fameux « trop d’impôts tue l’impôt » chiraquien aux politiques fiscales mises en oeuvre par la gauche plurielle, notamment lors du passage de Fabius à Bercy, tout a concouru pendant des décennies àfaire croire à nos concitoyens que la baisse des impôts, et plus particulièrement celle de l’impôt sur le revenu, constituait l’alpha et l’omega des politiques publiques, et ce, il faut bien l’avouer, avec un succès allant bien au-delà des rares couches sociales qui en tirent avantage. On l’a très bien vu récemment, lors des polémiques électorales touchant à la fiscalité, où l’on a pu entendre Sarkozy et consorts se répandre en affirmant que la moitié des Français ne payaient pas l’impôt sans que cela n’entraîne de mises au point de ses adversaires, ou lorsqu’il a fallu supporter les apitoiements hallydaysques sans qu’il ne vienne aucunement à l’idée de nos bons esprits d’affirmer qu’il était peut-être plus révoltant que l’État taxe le pain du SDF que les inutiles fortunes amassées par les stars du show-biz ou des affaires.
La gauche libérale est, par ailleurs, également coresponsable des verrous mis en place sur le sujet au niveau européen, verrous qu’elle a approuvés. En effet, directives et règlements communautaires, s’ils se gardent bien de fixer des seuils minimums à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés, générant le dumping fiscal auquel on assiste aujourd’hui dans l’Union, encadrent en revanche très précisément les taux de TVA et les produits concernés. Liêm Hoang-Ngoc me paraît donc bien présomptueux de s’aventurer sur ce terrain avec autant de certitude (voir, à titre d’illustration, le précédent toujours rocambolesque du projet de baisse de la TVA sur la restauration), s’agissant d’un domaine où les décisions se prennent à l’unanimité des 27 États membres.
Enfin, on peut s’étonner de la vision réductrice, et pour tout dire obsolète, de la fiscalité développée par l’expert du PS. À l’heure du réchauffement climatique, l’impôt ne doit plus être seulement un instrument de correction des inégalités et de financement de la solidarité, même s’il est essentiel qu’il retrouve ces missions. Il doit être aussi un outil favorisant les comportements responsables tant des citoyens que des entreprises. Àcet égard, pourquoi ne pas imaginer, afin de renchérir le coût de l’énergie sans pénaliser les travailleurs les plus modestes, une forte augmentation des taxes sur les carburants, qui serait compensée pour chaque contribuable par un crédit d’impôts correspondant à la consommation d’un véhicule sobre pour une distance à définir. Ainsi, les citoyens obligés d’utiliser leur voiture, notamment pour se rendre sur leur lieu de travail, en subiraient peu l’impact, ceux empruntant les transports en commun seraient d’autant plus financièrement favorisés que leurs revenus seraient bas, et seuls seraient pénalisés les accrocs du bitume et des grosses gourmandes. […]
Bertrand Eberhard, Paris
Le retour de Bové
On s’est gaussé de la tentative de retour de Jospin, on s’esbaudit devant celui de José Bové.
Notre ami Bernard Langlois est heureux de pouvoir choisir son candidat favori au premier tour. Souhaite-t-il retrouver dans l’isoloir, au second tour, la joie ineffable qu’il a ressentie le 5 mai 2002 ?
Soyons sérieux. Si Bové s’était lancé au mois de novembre, il aurait pu peser sur la campagne. Mais maintenant ?
Pour ma part, pour la première fois depuis le 2 janvier 1956, je voterai socialiste au premier tour. En 1974, Mitterrand était aussi le candidat du PSU, donc le mien et celui de Bernard Langlois !
Georges Idier, Grenoble (Isère)
P.-S. : Cela ne m’empêche pas d’apprécier le bloc-notes de Bernard Langlois et d’être souvent de son avis.
La poudrière du Moyen-Orient
Sous le titre « De gré ou de force », le Monde du 11 mars 2003 publiait un courrier des lecteurs signé Jean-Paul Le Marec (Paris), que je cite ici intégralement.
« Dans le Monde du 4 mars, messieurs Bruckner, Glucksmann et Goupil se font les relais des États-Unis pour appeler à chasser Saddam « qui doit partir de gré ou de force ». Au moins, c’est clair, ils n’utilisent même pas le faux prétexte du désarmement de l’Irak. Pourtant, je souscris pleinement à leur texte : « Il joue avec le feu au coeur d’une poudrière mondiale, le Moyen-Orient […]. Il est temps pour lui de quitter la scène. Il faut que le Conseil de Sécurité de l’ONU l’y oblige, pacifiquement si possible, militairement s’il n’obtempère pas. D’atermoiements en tergiversations, plus on attend, plus il en coûte aux populations, plus l’ONU se déconsidère. » Ce texte va comme un gant à M. Sharon. Etes-vous prêts, messieurs les va-t-en-guerre, à utiliser le même procédé pour obliger le Premier ministre israélien à respecter les résolutions de Nations unies ? »
À ma connaissance, ces messieurs, que j’ai autrefois admirés, n’ont pas eu le temps d’être prêts à mettre leur verve au pacifique service des populations palestiniennes, cibles première de la poudrière du Moyen-Orient. Certes, M. Sharon a maintenant quitté la scène, pour raison médicale. Mais sa raison politique, si nocive, continue et croit provisoirement réussir : quoi de mieux que de se réjouir, en Pro-Occident, de voir s’entretuer les Arabes, de Bagdad à Gaza ?
Dans ce contexte, la récente anecdote « pro-Nicolas » de Glucksmann me fait penser à l’ultime crotte que l’on sème, avec le dernier pet du matin. Et on tire la chasse d’eau, pour oublier tout ça vite fait. Si on a le confort des chiottes… Les pauvres, eux, ne l’ont pas, ne l’oublient pas… Aux chiottes, les traîtres ralliés à Bush et à Sarko !
Rémi Begouen, Nantes (Loire-Atlantique)
Un néologisme plus que centenaire
Dans son bloc-notes du n° 938 de Politis , Bernard Langlois, dont j’apprécie l’esprit critique, nous assure que le mot « judéophobe » est un néologisme, et que nous devons cette trouvaille à Pierre-André Taguieff. Celui-ci expose dans la Nouvelle Judéophobie les motifs qui l’amènent à employer le « néologisme « judéophobie » plutôt que le terme d’usage courant « antisémitisme » » , et « judéophobe » à la place d’« antisémite »… Mais, déjà en 1903, un siècle avant Taguieff, Bernard Lazare soutenait qu’« antisémitisme » était un mot « mal formé » et que l’on devait le remplacer par « antijudaïsme » . Remontons encore deux décennies : en 1882, Leo Pinkser, qui, tout en se présentant comme un « juif russe », écrivait en allemand, publia à Berlin une brochure titrée Autoemancipation ! Dans cet opuscule, suivant sans le savoir les traces d’antisémites ou de judéophobes célèbres comme, par exemple, Martin Luther, Johann Gottlieb Fichte et Paul Lagarde, l’auteur propose une solution, qu’on pourrait appeler protosioniste, du problème juif. Et Pinkser y emploie à plusieurs reprises ce qui, en 1882, était réellement un néologisme, le mot « judéophobie » :* « La judéophobie est une variété perverse de la démonopathie », « la judéophobie est une psychose […], elle est héréditaire » et « incurable » (et, par conséquent, croyait l’auteur, il fallait s’abstenir de la combattre…). Du fascicule de Pinkser existent plusieurs versions françaises, dont celle de Schlusinger (1933-1944, etc.) et celle d’André Neher (1956). Et, si de cette dernière traduction disparaît une phrase raciste et antiféministe de l’original allemand, le terme « judéophobie » figure toujours où il se doit. Il apparaît aussi dans les pages consacrées à Pinkser par des histoires du sionisme ou de la pensée sioniste, comme celle de Walter Laqueur (la première édition date de 1973) et celle de Shlomo Avineri (version française publiée en 1982). Mais, surtout, on peut trouver les néologismes « judéophobie » et « judéophobe », que nous devrions à Taguieff, dans l’excellente anthologie des travaux de Maxime Rodinson, Peuple juif ou problème juif ? , publiée en 1981 et dont on doit toujours recommander la lecture ou la relecture (en particulier celle du texte de 1979 intitulé « Antisémitisme éternel ou judéophobies multiples ? »). Pour conclure, disons que Taguieff s’abstient très prudemment de contester de façon directe les thèses centrales de Rodinson sur le sionisme, mais, comme le prouvent plusieurs références de son livre la Nouvelle Judéophobie , il a bien lu l’anthologie rodinsonienne que nous venons de citer. Anthologie où figurent abondamment les néologismes qu’il s’attribue ou qu’on lui attribue.
Pedro Scaron, Paris