« Il faut créer un impôt universel »
L’économiste Liêm Hoang-Ngoc, délégué national à l’économie du PS, propose de rendre l’impôt plus juste en rétablissant sa progressivité.
Un projet opposé à celui de la droite, qui entretient la spéculation.
dans l’hebdo N° 938 Acheter ce numéro
Le débat sur la fiscalité est revenu au premier plan dans la campagne présidentielle. Les réformes libérales partent du présupposé que « trop d’impôt tue l’impôt ». Une autre réforme fiscale est-elle possible ?
Liêm Hoang-Ngoc : La fiscalité française est déjà injuste, en raison du faible poids de l’impôt sur le revenu, le seul impôt qui soit progressif mais qui ne rapporte que 16 % des recettes fiscales. Les néoconservateurs entendent rendre l’impôt encore plus injuste en faisant basculer la charge de financement de l’État sur les ménages après avoir recentré les dépenses publiques autour des dépenses régaliennes. Après avoir réduit la progressivité de l’impôt sur le revenu, ils proposent d’augmenter le poids de la TVA, qui représente déjà 51 % des recettes de l’État, de réduire de 13 points l’impôt sur les sociétés et d’abaisser le bouclier fiscal pour supprimer de fait l’impôt sur la fortune (ISF). Au nom de la récompense du travail, cette politique favorisera la reconstitution de la rente, au premier chef celle des bénéficiaires des dividendes du nouveau capitalisme.
AFP/Mychele Daniau
Rendre la fiscalité plus juste suppose au contraire d’élargir l’assiette de l’impôt sur le revenu et de rétablir sa progressivité. Tout le monde paie sans le savoir l’impôt par le biais de la TVA et de la CSG. Ces impôts sont injustes (le même taux s’applique au riche et au pauvre). On peut réhabiliter la politique publique en rendant explicite cet acte citoyen qu’est le paiement de l’impôt, tout en faisant payer chacun selon sa faculté contributive. Il faut pour cela créer un impôt universel sur le revenu, assis sur une assiette large et un barème progressif avec dix tranches pour éviter les sauts de tranches trop brutaux. Il faut remplacer la prime pour l’emploi par un abattement sur la première tranche pour redistribuer beaucoup plus en direction des ménages les plus modestes. La fusion de l’impôt sur le revenu avec la CSG est le moyen technique de réaliser ce projet. Il faut de plus réduire le poids de la TVA en réduisant les taux sur les produits de première nécessité (logement social, eau, médicaments, etc.). Il faut remplacer les cotisations patronales (pénalisant les PME) par une contribution sur l’ensemble la valeur ajoutée, ce qui revient à mettre à contribution les profits des entreprises du CAC 40 pour financer les dépenses sociales. Il faut enfin réformer la fiscalité locale, particulièrement injuste.
Quels seraient les effets sur l’emploi et l’activité économique du nouvel impôt universel sur le revenu ?
L’impôt est un instrument de correction des inégalités. Il permet aussi de dégager des ressources pour l’action publique. Les dépenses sociales sont appelées à s’accroître. Le choix de la solidarité nationale signifie notamment que les dépenses universelles de santé soient prises en charge collectivement, plutôt que privativement. Dans ce cas, le nouvel impôt universel est le moyen le plus juste de financer une telle priorité nationale, dont les effets se révéleraient positifs sur la productivité. Ce choix éviterait d’augmenter la charge fiscale des ménages les plus démunis (par une hausse de la TVA), dont l’augmentation du pouvoir d’achat soutiendrait alors la consommation, en passe de se retourner. Enfin, la nouvelle fiscalité sur les sociétés (le remplacement des cotisations patronales par une CSG entreprise, assise sur la valeur ajoutée), favoriserait les PME en mettant à contribution lesgrandes entreprises cotées.
Un tel scénario a-t-il été étudié ?
Dans mon ouvrage
[^2], j’estime que la fusion de l’impôt sur le revenu avec la CSG, assortie d’un barème à dix tranches avec abattement de 2 000 euros sur la première tranche, accroîtrait le rendement de l’impôt sur le revenu d’au moins 15 milliards d’euros si les niches fiscales étaient pour la plupart supprimées. Cela permettrait de financer la solidarité et les nouvelles priorités nationales. Au contraire, les seules baisses de l’impôt sur le revenu de la droite ont coûté 28,9 milliards d’euros cumulés de 2002 à 2006. Elles ont creusé les déficits sans relancer la croissance. Pire, elles ont entretenu la spéculation immobilière et boursière à l’heure où sévit la crise du logement et où la bulle financière finira par éclater dès lors que l’investissement des entreprises reste atone. Le débat sur la réforme des cotisations patronales fait également l’objet de nombreuses études, dont les nôtres, depuis dix ans.
La concurrence fiscale rend-elle impossible toute réforme progressive en matière de politique fiscale ?
Le dumping fiscal et social est suicidaire. L’Allemagne est en train d’engager l’Europe dans une stratégie de « désinflation compétitive » généralisée. Elle paraît pour l’heure s’en sortir, au prix d’une compression de sa demande intérieure. Mais attention ! Si tous les pays s’engagent plus loin encore dans cette « surenchère vers le bas », l’Europe plongera dans une spirale récessionniste au centre de laquelle le chômage et les inégalités s’amplifieront. Dans ce cas, je ne parie pas cher sur l’avenir de l’euro et de la démocratie.
En attendant, il est faux de dire que, malgré la concurrence fiscale, « trop d’impôt tue l’impôt ». Le rendement de l’impôt sur les sociétés s’est encore accru, permettant au gouvernement incrédule de boucler son budget. Enfin, il n’y a que trois cents « Johnny » par an qui s’évadent, alors qu’on se plaint que tant de compétences nouvelles aspirent à s’intégrer dans notre République, où les investissements étrangers continuent d’affluer la France est le deuxième pays d’accueil des investissements directs à l’étranger !
Les propositions de Nicolas Sarkozy et de la droite sont-elles tenables ?
Nicolas Sarkozy annonce une baisse de 4 % des « prélèvements obligatoires » ! Contrairement à ce qu’elle prétend, la droite a, au cours de cette mandature, augmenté les prélèvements obligatoires. Le taux de prélèvements obligatoires est passé de 43,1 à 44 % du PIB de 2002 à 2006. La baisse des impôts annoncée par la droite n’est pas de nature à relancer la croissance. Celle-ci est uniquement soutenue par la consommation haut de gamme des classes aisées, bénéficiaires du capitalisme financier (les 10 % les plus riches), qui tirent parti des dividendes et de la spéculation immobilière. Que les riches cessent de consommer, que la bulle spéculative éclate, et l’édifice s’effondrera. D’autant plus que les bénéfices, distribués sous forme de dividendes, ne servent aucunement à l’investissement, qui reste en berne, notamment dans le secteur des nouvelles technologies, dont on vante tant les potentialités. La compétitivité française en souffre, comme l’indiquent les chiffres du commerce extérieur, désormais chroniquement déficitaire. Consommation populaire en baisse, investissement atone, exportations déficitaires. Dans un tel contexte de décroissance, faute de rentrées fiscales, la politique néoconservatrice creusera les déficits et… accroîtra le taux de prélèvements obligatoires.
Le PS et Ségolène Royal vont-ils aussi loin que vous sur la fiscalité ?
Mon ouvrage met en musique le projet en matière de fiscalité, notamment en explorant le scénario d’une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, avec dix tranches et un abattement sur la première tranche. Il ouvre également le débat sur les niches fiscales et le quotient familial. Il tire au bout la logique qui consiste à transférer au nom de la justice sociale le financement des dépenses universelles sur l’impôt (l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés à travers l’idée d’une CSG-entreprises pour remplacer les cotisations patronales). Le Premier secrétaire n’a fait que porter ce projet devant l’opinion publique, à laquelle la candidate socialiste ne se déclare pas insensible.
[^2]: Vive l’impôt !, éditions Grasset.