La France de Sarkozy
dans l’hebdo N° 938 Acheter ce numéro
C’est une lettre ouverte qui nous vient des environs de Pau. La signataire s’appelle Damira Asperti, une dame qui n’est plus toute jeune, puisqu’elle fut, à l’âge tendre, déportée à Ravensbrück pour faits de résistance (avec toute sa famille, elle faisait partie de la 35e brigade FTP-MOI de Toulouse). Comme elle le dit : « Nous avons bien défendu la terre de France de notre sang et de nos souffrances, alors que nous étions encore Italiens. » Et la France l’a reconnu, puisque Damira est médaillée militaire et chevalier (ou doit-on dire chevalière ?) de la Légion d’honneur.
C’était hier.
Mais, aujourd’hui, Damira Asperti, cette vieille dame courageuse, en a gros sur le coeur et a tenu à le faire savoir :
« Vais-je devoir, aujourd’hui, en 2007, alors que ma santé est chancelante, cacher la femme de mon neveu, Aïcha Titonel, et sa petite Yousra pour éviter que la police ne les arrête au petit matin, comme on raflait les résistants, les démocrates ou de simples citoyens… Pour empêcher qu’on arrête sa fille à la sortie de l’école et qu’on les conduise en camp de rétention, comme on conduisait les juifs à Drancy et les résistants dans d’autres camps ? Elles n’ont aucun crime, ni délit à se reprocher, Aïcha a tout simplement épousé mon neveu par amour et en toute légalité. Vers quelles dérives nous conduit la loi du 24 juillet 2006, dite loi Sarkozy ? Il est grand temps de réagir, de dire non, pas ça ! Pas dans notre beau pays des droits de l’homme ! Entrez en résistance pour l’honneur de la France et pour ses valeurs républicaines et démocratiques. » [^2]
« Entrez en résistance… » Pour Mme Damira Asperti, ce sont des mots lourds de sens.
Trop lourds ? Est-ce bien approprié d’employer de tels mots ? N’y a-t-il pas abus de langage à parler de « rafles » , à évoquer Vichy et ses camps, à faire référence, explicite (comme ici Mme Asperti) ou implicite, aux heures noires de l’Occupation, à la déportation des juifs, des résistants ?
On peut le penser. Beaucoup le pensent. Mais comment qualifier, par exemple, l’opération de police du 30 janvier, place de la République à Paris, où les flics se sont postés à proximité d’un point de distribution de vivres des Restos du coeur pour piéger des sans-papiers venus chercher un peu de nourriture (une vingtaine ont été embarqués, plus l’auraient été sans une intervention de militants de RESF venus perturber l’opération) ? Quel autre mot employer que celui de « rafle » ? Est-il indécent, vraiment, d’oser des comparaisons ? « Voire, répond l’ethnologue Emmanuel Terray. Assurément, il existe entre les deux épisodes des différences considérables, et il serait absurde de les nier. Cependant, sitôt qu’on cherche à les cerner de façon précise, il apparaît qu’elles tiennent presque exclusivement au rôle des occupants allemands : terriblement présents et actifs en 1942, ils ont fort heureusement disparu en 2006. En revanche, si l’on considère le comportement des autorités françaises, les similitudes sont manifestes. » Et, entre autres similitudes, celle des méthodes employées saute aux yeux : « Dans ce domaine, les analogies résultent de la nature des choses ; la chasse à l’homme, surtout lorsqu’elle est assortie d’objectifs chiffrés, implique l’utilisation d’un certain nombre de techniques : rafles, convocations-pièges, interpellation des enfants dans les écoles, internement administratif. Quelles que soient les populations ciblées, le recours à ces techniques est inéluctable dès lors qu’on prétend à l’efficacité. Il faut d’ailleurs admettre que, sur ce point, le ministre de l’Intérieur n’a guère innové par rapport à ses prédécesseurs de l’époque de Vichy et de la guerre d’Algérie, et la police française n’a eu qu’à puiser dans ses archives pour retrouver les bonnes vieilles méthodes. » [^3]
Telle est la France de Sarkozy, ministre de l’Intérieur. Est-il très difficile d’imaginer ce que serait la France de Sarkozy, président de la République ?
Le club des néo-cons
Eh bien ! Elle ne révulse pas un certain nombre d’intellectuels, souvent gauchistes dans leurs vertes années (comme Emmanuel Terray, mais lui est resté un homme debout), qu’on continue à classer à gauche par paresse et qu’on voit aujourd’hui se rallier au candidat bonapartiste.
Il faut lire l’ahurissante profession de foi d’un Glucksmann [^4] et les raisons chantournées qu’il donne à son allégeance toute fraîche à l’arriviste de Neuilly, prenant (ou feignant de prendre) pour argent comptant quelques récents discours racoleurs où furent embarqués Jaurès et quelques autres : « En retrouvant dans le discours du candidat Hugo, Jaurès, Mandel, Chaban, Camus, je me sens un peu chez moi. » Bienvenu au club des néo-cons, cher ex-nouveau philosophe, tu y seras en bonne compagnie ! Car il n’est pas le seul à retourner sa veste (à vrai dire, c’est fait depuis longtemps ; mais le manteau de Noé du mitterrandisme permettait de dissimuler bien des ambiguïtés !) : Glucksmann se retrouve en bonne compagnie, avec les Bruckner, Weitzmann et autres admirateurs de la grande démocratie américaine et de ses efforts méritoires pour en répandre les bienfaits en terre barbare, tels qu’Adler, Taguieff ou cet autre (j’ai oublié son nom, mais si, vous voyez bien qui je veux dire : ce polygraphe incontinent, historien du dimanche, ancien chevènementiste, ancien ministre de Mauroy, qui pontifie toutes les semaines chez Meyer sur France Culture en compagnie d’autres ferrailleurs, Max, c’est ça, Max quelque chose…) ; et l’ineffable Alain Finkielkraut.
Ah, Finkie ! À lui seul, il mériterait tout un bouquin !
Coup de sang
Il existe, justement, et n’a pas bonne presse, on s’en doute. Fait pas bon s’en prendre aux intellectuels médiatiques, même quand ils se laissent aller comme de vulgaires Frêche, à compter les Noirs du Onze de France.
La Position du penseur couché (excellent titre), du confrère et ami Sébastien Fontenelle, est un pamphlet [^5]. Le genre, ni l’auteur n’ont vocation à faire dans la nuance. Fontenelle assume : « Ce livre naît d’un coup de sang. De quelques mots de trop d’un homme, intellectuel des médias, dont certains propos haineux, soudain, m’enragent, parce qu’ils ne sont jamais sanctionnés. » Le fait est : Finkielkraut est intouchable. Comme si l’intelligence (indéniable) et la culture (étendue) du bonhomme lui permettaient de tout dire en toute impunité. Certes, on le chicane un peu, des fois, gentiment (ce qui, aussitôt, lui permet de se poser en victime !), quand il pousse le bouchon un peu loin (comme dans cette interview à Haaretz , dans laquelle, outre la saillie sur les footballeurs « black-black-black » , il tenait des propos racistes sur les émeutes en banlieues, « révolte à caractère ethnico-religieux » , « pogrom antirépublicain » …) : mais quelques mots de vagues excuses aux micros aimablement tendus et les plaidoyers enflammés de ses (nombreux) amis et commensaux de la presse et des ondes suffisent à lui refaire une virginité. Il peut donc continuer à « briser les tabous » , c’est-à-dire, pour l’essentiel, à dénoncer « l’antiracisme » , « l’anti-américanisme » , « l’extrême gauche antisioniste » et donc, forcément c’est devenu son (leur) obsession , antisémite (ou mieux : « judéophobe » , néologisme qu’on doit à Taguieff).
Comme un chercheur d’or opiniâtre, Fontenelle passe au tamis les nombreux écrits du « philosophe en perdition » et y trouve maintes pépites, que je vous laisse découvrir. Dont l’ahurissante affirmation selon laquelle le vrai danger ne vient pas de l’extrême droite mais de ceux qui la combattent : « L’avenir de la haine est dans leur camp et non dans celui des fidèles de Vichy. » Fermez le ban !
Voilà qui sont les nouveaux grands amis de M. Sarkozy. Qu’il se les garde !
Et que vienne, oui José, le temps de l’insurrection électorale !
[^2]: Apportez vos soutiens et témoignages écrits à Aïcha Titonel, Landrevie, 47380 Monclar-d’Agenais. Signez la pétition « Halte à l’amour emprisonné » du Réseau éducation sans frontières-47, 169, av. Jean-Jaurès 47000 Agen, ou sur Internet sur le site de RESF-47 puis Lot-et-Garonne (.
[^3]: Et les similitudes ne s’arrêtent pas aux seules méthodes employées. On trouvera l’argumentation complète de Terray sur le site de RESF, sous le titre : « 1942-2006, réflexions sur un parallèle contesté ».
[^4]: « Pourquoi je choisis Nicolas Sarkozy », André Glucksmann, Le Monde du 30 janvier.
[^5]: La Position du penseur couché, Répliques à Alain Finkielkraut, Sébastien Fontenelle, Privé, 192 p., 16 euros.