Le Moyen-Orient et la présidentielle
Les dossiers internationaux ne pèsent généralement pas très lourd dans nos campagnes électorales. Mais le Proche-Orient, l’Irak et l’Iran risquent cette fois de s’inviter dans le débat politique franco-français.
dans l’hebdo N° 938 Acheter ce numéro
Si elle était élue, Ségolène Royal parlerait-elle avec le Hamas ? La candidate socialiste l’avait promis avant d’opérer un virage spectaculaire pendant son voyage en Israël. S’opposerait-elle à l’accès de l’Iran au nucléaire civil ? Elle en a pris l’engagement lors d’un débat sans que l’on sache s’il s’agit de la théorisation d’un lapsus (« civil » au lieu de « militaire ») ou d’une position mûrement réfléchie. Nicolas Sarkozy peut-il, s’il est élu, aller jusqu’au bout d’une logique atlantiste en rupture totale avec la tradition gaulliste ?
On le voit bien, depuis le début de la précampagne présidentielle, la poudrière du Proche-Orient, l’affaire du nucléaire iranien, la guerre en Irak sont bien plus que des dossiers internationaux. Sans parler des hésitations de Jacques Chirac sur les dangers tout relatifs selon lui de la bombe iranienne. L’opinion sait que le (ou la) futur(e) élu(e) de la République devra prendre position sur ces dossiers d’actualité. Elle jauge la familiarité des candidats avec ces questions. Premier test, le conflit israélo-palestinien. Comme toujours en France, celui-ci a des incidences particulières sur notre société. On guettera donc avec intérêt l’accueil que les candidats réserveront au questionnaire que leur adresse ces jours-ci la Plate-forme des ONG pour la Palestine. Pour Bernard Ravenel, président de l’Association France-Palestine Solidarité, partie prenante de cette initiative, « les obligations de la France sur cette question se résument en trois mots : application du droit ». « En clair , poursuit-il, comment passer d’une phase déclaratoire à une phase opérationnelle ? Car, si la France reconnaît la valeur supérieure du droit, elle n’a pas fait grand-chose pour le faire appliquer dans l’endroit de la planète où le droit est le plus impunément violé, la Palestine. »
Sous le titre éloquent « le droit pour la paix », des ONG de la plate-forme demandent aux candidats quelles mesures ils compteraient prendre, s’ils étaient élus, pour permettre « la création d’un État palestinien, conformément à la résolution 1397 (de 2002) du Conseil de sécurité des Nations unies ». Et l’application des résolutions demandant le retrait d’Israël des territoires occupés en 1967, ainsi que le respect du statut « internationalement reconnu de Jérusalem-Est comme territoire palestinien occupé ». Le questionnaire rappelle aussi la résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU (1948), qui reconnaît « le droit au retour des réfugiés palestiniens » . Il évoque la IVe Convention de Genève, qui interdit « les colonies de peuplement […], les transferts forcés de population, la destruction des maisons », les entraves à la liberté de circulation. Les ONG demandent en outre aux candidats de se prononcer pour « la suspension de l’accord d’association » ratifié en 1999 entre Israël et l’Union européenne, « tant que l’État d’Israël continue de violer les droits de l’homme et le droit international ». Enfin, elles demandent que le (ou la) futur(e) élu(e) intervienne au sein de l’Union européenne pour que « celle-ci reprenne son aide à l’Autorité palestinienne ».
Mais les auteurs de ce document interpellent surtout les candidats sur deux initiatives diplomatiques : l’envoi d’une force multinationale « de protection et d’interposition » qui serait déployée « le long de la « frontière » de 1967, et la tenue d’une conférence internationale « sous l’égide de l’ONU » . Non sans une certaine ironie, le questionnaire s’achève en soulevant la question de « l’inspection de l’arsenal nucléaire israélien par l’Agence internationale de l’énergie atomique ». Au plus fort du débat sur le nucléaire iranien, c’est une façon de recadrer un dossier que la communauté internationale envisage avec des oeillères. Israël n’ayant même jamais reconnu la possession de missiles nucléaires, qui relève du secret de Polichinelle.
Quel accueil les auteurs de cette initiative peuvent-ils attendre ? Il sera bon, sans doute, à gauche de la gauche. Mais c’est du côté de Ségolène Royal que les réponses sont les plus incertaines. Ce dossier est un enjeu pour la candidate socialiste, dont on espère une prise de position courageuse. « Courageux », ici, veut dire en conformité avec les résolutions des Nations unies.
Même si les candidats ne sont pas destinataires d’un questionnaire sur le dossier du nucléaire iranien, leurs propos seront particulièrement guettés sur le sujet. Faut-il dialoguer avec le régime de Mahmoud Ahmadinejad, comme l’a suggéré Chirac en dépêchant une mission diplomatique à Téhéran, ou faut-il, à l’autre extrême, interdire à l’Iran l’accès au nucléaire civil, comme semble toujours le penser Ségolène Royal ? La tension entretenue, non seulement par les déclarations du Président iranien mais aussi par l’entourage de George W. Bush et accessoirement certains networks américains qui comparent Ahmadinejad à Hitler (comme il y a quatre ans Saddam Hussein…) , laisse penser que la crise pourrait prendre une tout autre tournure en pleine campagne présidentielle française. Chaque candidat aura à se situer face à l’idéologie du « choc des civilisations » et à montrer l’indépendance dont il est capable vis-à-vis des États-Unis… Une terrible épreuve politique en perspective.