Les pires tueurs
Le 3e Congrès mondial contre la peine de mort, qui se tient à Paris du 1er
au 3 février, est l’occasion d’un bilan planétaire. En 2005, la Chine, l’Iran, l’Arabie Saoudite et les États-Unis ont procédé à 94 % des exécutions.
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La peine de mort est une défaite pour l’humanité. Elle ne protège pas la société des hommes libres, elle la déshonore » . Telle est la conviction « inébranlable » de Robert Badinter, confiait-il au moment de la publication, en septembre 2006, de trente ans d’écrits « contre la peine de la mort » rassemblés en un volume [^2] à l’occasion du 25e anniversaire de l’abolition de la peine capitale en France. Dans cet ouvrage, il retrace les étapes d’un combat qui se doit d’être « toujours recommencé ». Et poursuivi partout dans le monde.
La tenue, du 1er au 3 février, à Paris, du 3e Congrès mondial contre la peine de mort est l’occasion de faire le point sur les progrès de la lutte. Aujourd’hui, 129 pays sur 196 ne procèdent plus à aucune exécution. Parmi eux, 87 ont officiellement aboli la peine capitale pour tous les crimes, dont, dernier en date, les Philippines, en juin 2006. Onze autres États ont fait de même pour les seuls crimes de droit commun. Enfin, 27 pays n’exécutent plus depuis plus de dix ans, même si la peine de mort existe toujours dans leur législation : c’est le cas de la Russie, de l’Algérie, du Kenya ou du Togo.
Il subsiste des pays qui pratiquent fréquemment la peine capitale, au premier rang desquels la Chine. Celle-ci reconnaît officiellement le chiffre d’un millier d’exécutions par an. Mais, en 2003, un responsable chinois admettait que le nombre avoisinait en fait les 10 000. Pire : les grandes ONG internationales, comme Human Rights Watch ou la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), avancent des chiffres encore plus élevés… La région du Moyen-Orient, avec notamment l’Arabie Saoudite et, surtout, l’Iran, totalise également un grand nombre d’exécutions. Selon une dépêche AFP, trois Iraniens coupables de meurtres ont été pendus dimanche 14 janvier, dont l’un d’entre eux en public. Au moins dix personnes ont été exécutées depuis le début de l’année et 154 en 2006. Dans la République islamique, le trafic de drogues, l’espionnage, le meurtre ou le viol mènent à la potence, mais également les « crimes » de sodomie ou d’apostasie…
Quant aux pays démocratiques, outre le Japon, qui a exécuté deux condamnés à mort en 2005 et quatre en 2006, les États-Unis sont évidemment le pays où la peine capitale est la plus prononcée et pratiquée. En 2006, 56 personnes y ont été exécutées, dont la moitié au Texas. Petite avancée malgré tout, la peine capitale ne s’applique plus aux malades mentaux depuis 2003, ni, depuis 2005, aux personnes mineures au moment des faits.
À eux seuls, la Chine, l’Iran, l’Arabie Saoudite et les États-Unis ont ainsi procédé à 94 % des exécutions dans le monde en 2005. Cette année-là, 53 pays ont condamné 5 186 personnes à mort et 22 d’entre eux en ont exécuté officiellement 2 148 : ce sont là les chiffres donnés par Amnesty International, même s’ils sont certainement sous-estimés.
Les abolitionnistes ont cependant quelques motifs de se réjouir puisque leur cause progresse. Ainsi, l’abolition gagne du terrain en Afrique, à la suite de l’Afrique du Sud, qui, au sortir du régime d’apartheid, a montré la voie. On sait que l’Europe est totalement libérée de la peine de mort depuis l’abolition adoptée en France en 1981 et la chute du mur de Berlin pour sa partie orientale. C’est même un critère fondamental d’entrée dans l’Union européenne ou le Conseil de l’Europe, et la Turquie a dû s’y résoudre récemment. Quant à l’Amérique latine, c’est le continent où l’abolition est la plus ancienne, parfois depuis le XIXe siècle, au moment des indépendances des anciennes colonies espagnoles et portugaises.
Mais on devine aisément, à la lecture de cette liste, que l’abolition formelle adoptée par certains pays n’est pas toujours strictement appliquée dans les faits. Ce fut longtemps le cas des dictatures sud-américaines. Aujourd’hui, les militants des droits de l’homme doivent surveiller les pratiques répressives, judiciaires et de détention dans nombre de pays officiellement « abolitionnistes ». Que signifie le moratoire décidé en Russie en 1999 au regard de la situation en Tchétchénie ? Une mission de la FIDH s’est rendue récemment en Azerbaïdjan, l’un des derniers pays à avoir adhéré au Conseil de l’Europe : si la peine de mort y a bien été abolie en 1998, seuls 85 sur 128 condamnés à mort de l’époque sont à l’heure actuelle encore vivants.
Marie-Agnès Combesque, déléguée du groupe de travail de la Ligue des droits de l’homme « Abolition universelle de la torture et de la peine de mort », a dirigé cette mission et s’apprête à publier un rapport accablant. Elle ne cache pas son inquiétude quant à la situation mondiale sur le sujet. Si, de 1995 (avec la mobilisation internationale de soutien à Mumia Abu-Jamal) à 2006, l’abolition a gagné du terrain, on peut craindre aujourd’hui le commencement d’une période de reflux, du fait de l’intérêt moindre de l’opinion et du climat répressif depuis les attentats du 11 Septembre. Les terroristes sont devenus des cibles privilégiées de gouvernements de plus en plus tentés de leur appliquer la peine capitale. La construction d’une chambre d’exécution dans le camp de Guantanamo, si elle n’a pas encore servi, n’a déclenché aucune dénonciation vigoureuse dans la presse ni dans l’opinion. Enfin, l’allongement des durées d’incarcération, avec des conditions de détention exécrables, est souvent appliqué dans le plus grand secret. Ce 3e Congrès mondial contre la peine de mort revêt, dans ce contexte, une importance toute particulière.
[^2]: Contre la peine de mort, Robert Badinter, Fayard, 328 p., 20 euros.