OGM, le coup de force de Villepin
C’est par simple décret que le gouvernement s’apprête à régulariser la culture commerciale du maïs génétiquement modifié, qui pourrait couvrir 50 000 hectares cette année.
dans l’hebdo N° 940 Acheter ce numéro
À la trappe, le projet de loi sur la culture en plein champ des OGM; escamoté, le débat devant l’Assemblée nationale ! C’est par décret, à la sauvette et dans l’urgence, que le gouvernement s’apprête à combler le vide juridique qui prévaut depuis plus de quatre ans en la matière. La France aurait déjà dû encadrer ces cultures depuis fin 2002 [^2], tenue de transposer la directive européenne 2001/18, qui vise à protéger la santé humaine et l’environnement en cas de dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés. En d’autres termes, à organiser la coexistence entre les cultures conventionnelles et celles d’OGM.
L’information, qui filtrait depuis début février, a officiellement été confirmée la semaine dernière par François Goulard. Le ministre de la Recherche répondait à une interpellation à l’Assemblée nationale de la députée Verte Martine Billard, laquelle dénonçait la préparation d’ « un véritable camouflet à notre démocratie » . Le ministre avait reconnu, fin janvier, que le projet de loi transposant la directive 2001/18 n’irait pas devant les députés, faute de temps. Selon le ministre, le décret prévoit « l’étiquetage des produits, des plans de surveillance et une durée limitée pour les autorisations » [^3].
FRANCE, Menville : des faucheurs volontaires montrent des débris d’épis de maïs transgénique, le 04 octobre 2005 devant un champ de Menville près de Toulouse. AFP/Georges Gobet
Très laconique… Un registre national des cultures OGM sera établi, mais le public sera-t-il informé de leur localisation ? « Sous la pression des semenciers, le registre pourrait bien n’indiquer que le département de culture ! » , s’élève Michel Dupont, chargé du dossier OGM à la Confédération paysanne. Monsanto fait ainsi circuler une pétition incitant les agriculteurs souhaitant cultiver des OGM à exiger du gouvernement que leur anonymat soit préservé. « Et quelle distance à respecter avec les champs voisins, quel régime de responsabilité en cas de contamination, quel mécanisme d’indemnisation en cas de pollution génétique ? »
Selon le ministère de l’Agriculture, le décret devrait répondre aux griefs de Bruxelles, qui doit saisir de manière imminente la Cour de justice européenne pour sanctionner le très grand retard de la France. « L’objectif est désormais d’aller le plus vite possible » , explique Laure Souliac, au bureau de la réglementation de l’alimentation et des biotechnologies du ministère de l’Agriculture. La France risque en effet des pénalités journalières de plusieurs centaines de milliers d’euros ! Le décret devrait ainsi être publié d’ici à avril prochain. Pourtant, l’urgence évoquée a d’autres ressorts que l’amende pécuniaire. En effet, en matière d’OGM confinés, où son retard remontait à 1992, la France s’est tirée d’affaire sans s’acquitter, semble-t-il, des pénalités journalières, s’élevant à 168 800 euros.
Car avril, c’est la saison des semailles. Pour les OGM, elles ne concernent à ce jour que le maïs dit « Bt » de Monsanto (le « Mon 810 »), unique variété disposant en France d’une autorisation de culture (depuis 1998). Destiné à la consommation animale, il intègre un gène qui produit un insecticide combattant la pyrale. Ce n’est qu’en 2006 que son exploitation commerciale, jusque-là anecdotique, a « explosé », avec 5 000 hectares cultivés. Dans une quasi-clandestinité, et dans l’illégalité puisque en infraction avec la législation européenne. L’émoi des associations écologistes et d’une partie du monde agricole avait été important, alors que 86 % des Français sont favorables à une interdiction des OGM (sondage BVA, fin 2006), et que 4 500 communes ont déjà pris des arrêtés (non légaux) interdisant leur culture.
Cette année, la situation s’annonce encore plus intenable : la superficie cultivée en Mon 810 devrait dépasser les 30 000 hectares (principalement pour l’export vers l’Espagne), si l’on en croit le semencier Limagrain. « Les firmes ont exercé une forte pression pour que le gouvernement instaure un semblant d’encadrement juridique » , témoigne Michel Dupont.
Mais avril est aussi le mois de la présidentielle, et le gouvernement tente d’éviter que le dossier n’explose à la veille du premier tour. Y parviendra-t-il ? Car ce décret ne dissimule pas sa vraie nature : un cache-misère. En effet, pour éviter d’être retoqué par le Conseil d’État, il devra s’en tenir à de simples dispositions réglementaires. Or, la directive européenne 2001/18 impose à l’évidence une transposition par un texte de loi. C’est le point de vue de Simon Charbonneau, professeur de droit de l’environnement à l’université de Bordeaux, questionné à ce sujet en septembre dernier par l’association Inf’OGM : le risque de pollution génétique porte atteinte au droit de propriété, protégé par la loi.
La question reste donc entière, et le gouvernement Villepin en fait cadeau à son successeur. S’il est socialiste, c’est un moratoire qui serait appliqué, à condition que Ségolène Royal tienne sa promesse (voir encadré). Mais sûrement pas avant 2008 : les plans de maïs OGM auront déjà poussé. Imagine-t-on un vaste plan de fauchage officiel, avec indemnisation ? « C’est la stratégie du fait accompli, qui a permis à Monsanto de gagner la bataille du soja transgénique au Brésil » , résume Michel Dupont.
Un coup de force qui évite tout débat sur la pertinence d’une coexistence des filières OGM et conventionnelles (que rejettent la Confédération paysanne et les écologistes), l’impact économique subi par la maïsiculture, et au mépris des plus récentes découvertes sur la contamination par les variétés transgéniques. Greenpeace diffuse fort à propos un rapport montrant qu’avec une cinquantaine d’accidents le maïs OGM compte pour plus du tiers des contaminations accidentelles recensées depuis dix ans.
[^2]: Dont le régime est différent des essais expérimentaux sur petites parcelles.
[^3]: Un premier décret avait déjà été pris en novembre concernant l’utilisation confinée d’OGM.