Pas vus à la télé

L’immigration à travers le petit écran.
Un documentaire couvrant trente ans d’images, partagées entre la censure et le non-dit.

Jean-Claude Renard  • 15 février 2007 abonné·es

Entre les années 1960 et 1970, l’immigration ne se présente à la télé qu’en cas de « malheurs ». Immigration rime avec malédiction. Ainsi : dans la nuit glaciale du 1er au 2 janvier 1970, dans un foyer insalubre d’Aubervilliers, des travailleurs africains font un feu de bois dans un poêle de fortune. Au petit matin, la police constate cinq morts par asphyxie. Le journal télévisé s’invite sur place : les Français découvrent les conditions de vie de ceux qu’on appelle alors les «~travailleurs étrangers~». 1970, donc. Mieux vaut tard que jamais (c’est une façon de filmer). En quelques jours, le fait divers local vire en affaire politique nationale. Surtout, l’opinion se rend compte qu’Aubervilliers n’est pas un cas particulier.

Quelque dix jours plus tard, Armand Jammot, dans ses «~Dossiers de l’écran~», propose une émission sur «~les travailleurs étrangers en France~». On y voit Francis Bouygues fringant entrepreneur de travaux publics, employant 80~% d’immigrés, à côté d’un directeur de la population et de l’immigration au ministère des Affaires sociales. Ce dernier souligne combien « la population ne possède pas d’information depuis vingt ans. Et, depuis vingt ans, la France est l’un des plus grands pays de l’immigration au monde. Et elle l’ignore totalement. » Sur quoi renchérissait un autre invité (non nommé) : « On dit que les immigrés sont des parasites, qu’ils viennent chercher un certain nombre d’avantages en France, qu’ils sont des facteurs de chômage, en certaines périodes. On dit encore qu’ils sont un danger pour des avantages sociaux au détriment des Français. Ce sont des arguments qu’il faut démolir. L’économie française ne serait pas ce qu’elle est sans les travailleurs étrangers. »

Tels sont les premiers bouts de pellicule de ce documentaire d’Anne Siegel et d’Edouard Mills-Affif. Certes, le film aurait pu gagner en clarté chronologique. Sans passer du coq à l’âne, le téléspectateur s’enquille plat, entrée, dessert, revient sur une mise en bouche, repart sur un plat de résistance… Cela écrit à coups d’archives de l’INA, on saisit quand même bien le fonctionnement de la télévision des années 1960-1970.

D’émissions en magazines reviennent les mêmes impressions de discrimination. Des impressions seulement, parce que la télé est contrôlée par le pouvoir. Quelques rares reportages parviennent à montrer l’envers du décor d’une France ragaillardie dans ses Glorieuses. Une fois sur «~Cinq colonnes à la une~», une autre fois sur «~Seize Millions de jeunes~». Des moments d’exception. Foin de la réalité, des bidonvilles, de l’exploitation. La télé peine à dire son racisme. Au mitan des années 1970, le plus souvent, les débats sur l’immigration se déroulent… sans un immigré~! Jacques Chirac, alors Premier ministre, donne ses clés du problème : « Un pays qui compte 900 000 chômeurs et deux millions de travailleurs immigrés, n’est pas un pays où le problème de l’emploi n’est pas insoluble. » Il faudra attendre une autre décennie, et la diffusion sur le petit écran, en octobre 1981, de Dupont Lajoie d’Yves Boisset, longtemps censuré sous Giscard, pour qu’éclatent à la gueule du téléspectateur les réalités de l’immigration en France. Mais pour reprendre cet invité sur le plateau des «~Dossiers de l’écran~», jusque-là, rien n’a été démoli.

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