Sommet en trompe-l’œil
dans l’hebdo N° 940 Acheter ce numéro
Nous en avons l’habitude avec le Proche-Orient. Tout événement diplomatique appelle au moins deux niveaux d’interprétation. On se souvient du retrait des colons de Gaza, en août 2005. Magnifique initiative de paix pour les uns, qui voulaient y voir le premier pas vers un démantèlement général des colonies de Cisjordanie. Coup médiatique pour les autres, et modèle de cynisme soumettant la population de Gaza àun dramatique enfermement économique. La suite de l’histoire amontré ce qu’il en était. De même, le sommet qui a réuni lundi à Jérusalem la secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et le Premier ministre israélien, Ehud Olmert, peut être interprété de diverses façons. Nous avons vu fleurir dans nos gazettes des titres du genre « Bush pousse à la paix », « Relance du processus de paix », etc. De telles bouffées d’optimisme ne pouvaient conduire qu’à un constat désabusé : « Échec du sommet », a-t-on pu lire un peu partout au lendemain de l’événement. Les efforts de Mme Rice auraient été mal récompensés. Bien sûr, la naïveté n’est jamais interdite. Mais tout de même ! Comment ne pas trouver étrange que Washington ait « torpillé » la mission de la secrétaire d’État avant même que celle-ci ne commence ? Comment ne pas s’étonner que quarante-huit heures avant la rencontre de Jérusalem le consul américain en poste dans cette ville ait fait savoir que les États-Unis ne reconnaîtraient pas le futur gouvernement palestinien d’union nationale, et qu’ils ne dialogueraient pas davantage avec celui-ci qu’avec le précédent ?
Et comment ne pas voir dans cette initiative américaine une gesticulation visant une nouvelle fois à faire endosser par les Palestiniens la responsabilité du statu quo ? Même Mahmoud Abbas, d’ordinaire si conciliant, a, paraît-il, perdu son calme devant une telle évidence : « C’est ou bien la reconnaissance du gouvernement d’union nationale, ou bien la guerre civile », a-t-il menacé. Hélas, on sait depuis un certain temps déjà que la stratégie américano-israélienne est précisément celle de la guerre civile. En coupant les vivres à la population coupable d’avoir « mal voté » au mois de janvier 2006, et en tenant pour nulles toutes les concessions faites par le Hamas, les États-Unis et Israël ne peuvent pas ne pas savoir ce qu’ils font : ils renforcent inexorablement ce qu’ils prétendent combattre et affaiblissent Mahmoud Abbas, qu’ils prétendent aider. Cette option n’est pas nouvelle. Elle date en vérité des accords d’Oslo, en 1993. L’exploitation des espoirs de paix pour renforcer la colonisation, les multiples rebuffades infligées à l’époque à Yasser Arafat, qui avait pris le risque historique de reconnaître Israël et qui fut, en retour, traité comme un paria, ont peu à peu permis au Hamas de tisser sa toile. Et nul n’ignore que le prestige du Hamas repose sur la radicalité de son discours. Les Palestiniens ayant déjà fait, en pure perte, l’expérience de la reconnaissance d’Israël par leurs dirigeants, les pas en avant du Hamas dans cette direction ne peuvent aujourd’hui que s’accompagner d’une avancée israélienne vers la reconnaissance effective d’un État palestinien.
C’est dans ce sens qu’il faut interpréter les concessions faites par le mouvement islamiste lors de la réunion interpalestinienne de La Mecque, le8 février. En s’engageant à figurer dans un gouvernement d’union nationale avec le Fatah et à respecter les accords signés par l’Organisation de libération de la Palestine avec Israël, le Hamas reconnaît implicitement l’État hébreu. La relance du dialogue dans ces conditions aurait permis de prendre acte de cette avancée, et favorisé la suivante. C’est l’option inverse qui a été choisie, dans la continuité d’une politique américano-israélienne à l’oeuvre au moins depuis la mort d’Yitzhak Rabin, en novembre 1995. Il faut donc le dire clairement, le « sommet » de Jérusalem ne traduisait aucune intention de relancer un quelconque processus de paix. Il faut d’ailleurs beaucoup de cynisme à M. Olmert pour demander l’application de la « feuille de route » de 2003, que ni son gouvernement ni ceux de son prédécesseur, Ariel Sharon, n’ont jamais respectée. Notamment, parce qu’ils n’ont jamais cessé d’étendre la colonisation en Cisjordanie. Affirmer que la réunion de Jérusalem s’est soldée par un échec, c’est faire crédit aux États-Unis de leurs intentions généreuses. D’une certaine façon, cette rencontre avortée a exactement produit les effets recherchés sur l’opinion internationale : désigner le Hamas comme le seul fauteur de guerre. Or,il n’y a pas d’échappatoire pour quivoudrait la paix et le droit que de dialoguer avec les représentants légitimes des Palestiniens. C’est aussi la seule façon de les amener à reconnaître Israël.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.