Vive l’immigration !
Il est temps de changer radicalement notre regard. Et de considérer les immigrés non comme des ennemis qu’il faut refouler, mais comme un apport économique et culturel indispensable.
dans l’hebdo N° 938 Acheter ce numéro
Les politiques migratoires sont dans l’impasse. Entre 1999 et 2003, plus de 4 000 migrants sont morts au large de Gibraltar. Ces drames humains et l’immigration clandestine croissante démontrent chaque jour que l’obsession sécuritaire ainsi que la fermeture des frontières géographiques de la France et de l’Europe échouent à réguler les flux migratoires. En France, en imposant les concepts d’immigration « choisie » et d’immigration « subie », le ministre de l’Intérieur a provoqué un tollé. La loi Ceseda [^2], mise en place en juillet 2006 par Nicolas Sarkozy, renforçant les difficultés d’entrée et de séjour et facilitant les renvois à la frontière, est devenue le symbole d’une politique d’immigration utilitariste et injuste destinée à servir les intérêts du patronat au mépris des droits humains des migrants.
Pour sortir de l’impasse, les politiques prônent désormais le codéveloppement avec les pays d’origine. Ce nouveau pendant incontournable des politiques d’immigration est présenté à gauche autant qu’à droite comme la contrepartie indispensable d’une « bonne » politique d’immigration. Pour Claire Rodier, du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), prétendre sur le court terme que le codéveloppement est la solution constitue un mensonge Elle contredit le socialiste Malek Boutih, à qui nous avons également donné la parole.
Fréjus : des enfants kurdes sont rassemblés devant un grillage, le 19 février 2001 sur la caserne desafectée du 21ème Régiment d’infanterie de marine (RIMA). AFP/Jacques Munch
Avec Claire Rodier, nous proposons ici une autre approche. Celle d’une immigration assumée. La France et l’Europe ont besoin d’immigrés et devront à terme rouvrir les frontières pour satisfaire les besoins actuels et futurs du marché du travail et pallier le vieillissement de la population. Les démographes et les experts de l’ONU, qui ont ouvert le débat en 2000, prévoient que la France aura besoin de 23 millions de nouveaux actifs d’ici à 2025 pour maintenir son système social. Le patronat français juge ses besoins énormes dans des secteurs à très faible qualification, comme le bâtiment, les travaux publics et les services (nettoyage, hôtellerie, restauration, etc.). Devant cette réalité, la fermeture des frontières favorise une économie clandestine dont un certain patronat s’accommode.
Mais comment éviter que, même de façon assumée, l’immigration apparaisse comme une simple variable d’ajustement ? Il faut réconcilier un impératif économique, qui s’impose encore plus du point de vue de l’immigré, et la morale sociale. Pour sortir de l’impasse, Claire Rodier ne voit pas d’autre solution que de cesser de considérer l’immigration comme un « problème » et de la prendre désormais en compte comme une donnée faisant partie intégrante du contexte. Cela doit se traduire notamment par des titres de séjour stables et de longue durée.
L’immigration soulève la question plus vaste du choix de la société dans laquelle nous voulons vivre. La France veut-elle continuer d’être une terre d’asile et devenir performante en matière d’intégration en cessant d’ignorer ses laissés-pour-compte ? Ou doit-elle s’obstiner à bafouer les droits humains pour satisfaire des politiques sécuritaires à visée électoraliste ? En recherchant une relation équitable avec les ressortissants étrangers et leurs pays, la France garantirait la préservation des fondements de sa République et pourrait encore prétendre au titre de « patrie des droits de l’homme ».
[^2]: La Loi code entrée-séjour-asile.