Au volant
Apprendre à conduire sa vie en trois leçons, par Laure Marsac.
dans l’hebdo N° 942 Acheter ce numéro
« Pour vous, la conduite, c’est un désir ou une nécessité ? Je répète : pour vous, la conduite, c’est un désir ou une nécessité ? » Denis Podalydès, en moniteur d’auto-école, est aussi chevelu et mal embouché dans sa chemise bûcheron que Laure Marsac, son élève, est blonde et pomponnée, de la racine des cheveux aux ongles des pieds. Dans cette scène qui réunit deux personnages parfaitement discordants dans un espace plutôt resserré, l’ironie se niche aussi dans le ton artificiel sur lequel l’un et l’autre s’expriment. Lui, robotique, ressassant des phrases préenregistrées. Elle, jeune femme et jeune mère visiblement inadaptée aux réalités de ce monde, même les plus (normalement) triviales, telles que conduire une voiture. Témoin, le tableau suivant, où la charmante, juchée en robe courte noire sur des talons hauts rouge sang, se retrouve en rade sur le parking d’une zone commerciale, quelque part dans le centre de la France. Ses clés sont à l’intérieur de son véhicule et elle est enfermée dehors, sans argent ni téléphone.
Conduire sa vie, prendre son autonomie, est le thème que Laure Marsac, réalisatrice et actrice du 4e Morceau de la femme coupée en trois , décline en plusieurs volets . Ils ont tous pour sujet la même jeune femme filmée dans ou près d’une voiture. Le troisième la retrouvant, petite fille, conduite par sa mère.
Ultra-stylisé, jusqu’au maniérisme presque, ce film force l’exercice de style avec une certaine espièglerie. Il aurait gagné à rester moyen-métrage, mais Laure Marsac y fait preuve d’une inspiration formelle pas banale. Comme stimulé par les touches roses et rouges qui parsèment un espace résolument gorgé de blancheur, un quatrième temps se dégage, courant sur les trois autres, mais hors champ. Quand, à force de regarder les expressions qui passent sur le visage de cette ravissante jeune femme, ses brillantes lèvres prises de crispations, ou son long jeu de jambes, on se met à reconstruire ses silencieuses pensées. En marge des images.