Chevènement croque Monnet

Un court et brillant essai sur « l’inspirateur » de la construction européenne.

Denis Sieffert  • 22 mars 2007 abonné·es

« L’Inspirateur » : c’est de Gaulle qui avait ainsi surnommé Jean Monnet. On imagine l’accent de dédain qui devait accompagner cette drôle d’allégorie. Les deux hommes se sont beaucoup détestés. Il est vrai que, pendant la guerre, Monnet a tout essayé pour décrédibiliser aux yeux des Américains le chef de la France libre.

Jean-Pierre Chevènement le raconte dans un court et brillant essai qu’il vient de consacrer à Jean Monnet. L’auteur n’a pas non plus de tendresse particulière pour son sujet. Mais son hostilité ne cesse jamais d’être politique. En brossant le portrait de ce personnage qui fut plus un businessman (et l’usage de l’anglais ici n’est pas gratuit) qu’un homme politique, Chevènement décrit l’émergence d’une Europe à la fois économique, financière et « américaine ». À 28 ans, Monnet fait déjà des affaires avec les États-Unis, alcoolisant les Indiens du Grand Nord, auxquels il vend du Cognac. À 54 ans, il est l’émissaire de Roosevelt en Algérie, intriguant contre de Gaulle. À 62 ans, en 1950, il met à l’épreuve sa méthode en « inspirant » la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca). Chevènement le cite : « Les membres de la Haute Autorité (de la Ceca) ne seront pas les représentants des gouvernements […] *. Ils agiront en vertu d’un mandat collectif et assureront une responsabilité commune. »* Fi de la volonté générale à travers le Parlement, commente Chevènement. Même le Premier ministre britannique de l’époque, le travailliste Clement Attlee, s’émeut : « La démocratie ne peut abdiquer entièrement entre les mains de quelques personnes censées être compétentes. » Et Attlee d’ajouter, caustique : « Tout le monde peut se tromper, même les experts de « grande envergure ». »

Mais Monnet chasse avec constance la politique (et les politiques) de la construction européenne, au profit des « techniciens » de l’économie ou de la finance. Il est le fourrier de cette « expertocratie » que combat à juste titre Chevènement. Monnet eut un héritier qui prolongea sa doctrine : Jacques Delors. Et un héritage : la Banque centrale, promue par le traité de Maastricht en 1992, et gouvernée par des « despotes éclairés », tout juste soucieux du taux de la devise européenne. Jean-Pierre Chevènement plaide pour un retour à la démocratie par une « République européenne » . C’est une autre histoire. Mais que son portrait de l’Inspirateur est édifiant !

Politique
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