Confusion et débandade

Michel Soudais  • 15 mars 2007 abonné·es

La campagne s’emballe et perd ses repères. Candidat de droite assumé, Nicolas Sarkozy multiplie les appels du pied en direction de l’électorat lepéniste. Mais, dans la même émission où il invoque comme une priorité la création d’un « ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale » , le président de l’UMP n’exclut pas que l’État puisse entrer temporairement dans le capital des entreprises en difficulté et se prononce « pour la création d’un cinquième risque » au sein de la Sécurité sociale, qui couvrirait la dépendance des personnes âgées. Ces deux propositions avaient été mises en avant, l’une par Dominique Strauss-Kahn, l’autre par Laurent Fabius, lors de la campagne interne socialiste. En digne héritier de Jacques Chirac, le candidat-ministre s’emploie ainsi à brouiller les repères, à coup de promesses pompées à l’extrême droite et à gauche.

La confusion n’est pas seulement entretenue par le candidat de la droite et du Medef. Les instituts de sondages s’y emploient avec un succès jamais atteint. Dès la mi-février, l’Ifop a réalisé et publié un sondage testant la candidature de François Bayrou au second tour. Rien pourtant ne laissait supposer, à cette date, que le président de l’UDF puisse y parvenir. Qu’importe ! Un tel sondage « a un effet politique et médiatique incontestable » , reconnaît cyniquement Jérôme Sainte-Marie, de l’Institut BVA, qui ne s’est pas privé d’en commander aussi. Crédibilisé par ce « coup de pouce » qui le donne gagnant aussi bien face à Ségolène Royal que face à Nicolas Sarkozy, bien qu’avec des électorats d’orientations contraires, la candidature du gentleman-farmer au tracteur enregistre depuis une forte croissance des intentions de vote en sa faveur. Il ferait désormais quasiment jeu égal avec sa rivale socialiste.

L’axiome suivant lequel les sondages mesurent moins l’opinion publique qu’ils ne la façonnent se vérifie de jour en jour. Le passé politique, les votes, déclarations et prises de position de François Bayrou n’ont plus aucune importance. Et les rappeler paraît vain. Son image ne lui appartient même plus. Par la grâce des sondeurs, le Béarnais apparaît aux yeux d’un nombre croissant d’électeurs comme le candidat « antisystème ». Celui qui peut chambouler le duel imposé, faire imploser l’UMP et casser le PS.

Si le parti de Nicolas Sarkozy semble assez bien résister, il n’est qu’à voir les réactions suscitées parmi les socialistes pour mesurer combien l’objectif est en passe de réussir. Car, de ce côté-là, la dispersion des réactions fait moins songer à une contre-offensive qu’à une débandade. Même en faisant abstraction des sympathisants qui, au nom du « vote utile » contre Sarkozy, prôné par la rue de Solferino, jugent plus efficace d’apporter leur voix au leader centriste, sans parler des militants saisis par les vertiges du vote révolutionnaire ­ il en est, le site Respublica a publié les réflexions de quelques-uns ­, l’écart est tel entre Laurent Fabius, qui préconise de « s’opposer frontalement » à François Bayrou, et Dominique Strauss-Kahn, qui l’invite à « rejoindre le pacte présidentiel de Ségolène Royal » , que le PS risque le claquage.

Quand le premier exclut de gouverner avec François Bayrou « parce que nous refusons la confusion » et « parce que changement par rapport à la politique actuelle de la droite ne peut être apporté que par la gauche » , le second rêve d’un tel attelage. Non content d’évoquer l’ « estime » et le « respect » qu’il a pour le président de l’UDF, le député de Sarcelles l’a invité, sur France 2 à aller « jusqu’au bout » de « sa rupture avec Nicolas Sarkozy et avec Jacques Chirac » : « Ce fera, assure-t-il, une belle majorité pour battre Sarkozy et pour changer la France : c’est mon combat ! »

Attention « casse-cou », avertit Marie-George Buffet : « Si on donne acte à Bayrou que la gauche ne veut pas changer, si on donne acte au camp libéral qu’une gauche peut faire alliance avec lui, on dit alors aux électeurs qu’ils n’ont plus qu’à voter Bayrou. » Il eût été souhaitable que ce rappel à l’ordre vienne de la candidate socialiste. Mais Ségolène Royal, officiellement sereine, s’emploie déjà à dresser la liste des fautifs à qui elle pourrait imputer son échec. En cause, les éléphants du PS, accusés d’avoir tardé à la soutenir et instillé ainsi un doute sur sa compétence : « Ce n’est pas le problème de les voir, le problème, c’est ce qu’ils n’ont pas dit à une époque. » Un discours de perdante.

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