D. Voynet : « Le référendum de mai 2005 ne peut durablement structurer la gauche »
Dominique Voynet tente de redéfinir la spécificité de son mouvement, qu’elle situe au croisement de l’écologie et du social, et affirme sa différence avec la gauche antilibérale.
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Cette campagne se présente pour vous dans des conditions particulièrement difficiles. Même pour recueillir les parrainages à votre candidature…
Dominique Voynet : C’est vrai. Mais je me souviens qu’en 2002, cela avait déjà été plus difficile qu’en 1995. Un certain nombre de maires craignent la réaction de leurs électeurs. Cette fois-ci, les Verts ont compris qu’il s’agissait non seulement d’avoir les cinq cents signatures, mais de les trouver seuls, sans dépendre d’un grand parti qui nous le ferait payer cher, par exemple en exigeant de nous un certain nombre de concessions dans la perspective des législatives. En fait, il me semble assez logique que les maires socialistes accordent leur parrainage à la candidate de leur parti. Ce qui est plus étrange, c’est l’intimidation des maires divers gauche, invités à épouser les choix stratégiques du parti socialiste.
Comment avez-vous fait pour ne pas passer sous les fourches caudines du PS ?
Nous avons mobilisé nos militants ! Un coup de pouce décisif est venu des élus d’outre-mer. Ce qui constitue une forme de reconnaissance du travail que nous avons accompli dans ces territoires. Je me suis engagée aux côtés des victimes des essais nucléaires en Polynésie, j’ai dénoncé le désastreux projet Goro Nickel en Kanaky, j’ai fait campagne en Guadeloupe pour la vérité sur le chloredecone, ce pesticide redoutable. C’est ce travail sincère de terrain qui a payé.
Jack Guez / AFP
Sur un plan plus général, et si l’on en croit les sondages, la campagne est très dure. Comment expliquez-vous cela ?
Il y a un vrai décalage entre les préoccupations des Français et les intentions de vote mesurées par les enquêtes d’opinion pratiquement quotidiennes. Je ne rencontre personne qui me dise : « On se fiche de l’écologie ! » Ni même : « Tu n’es pas compétente, et tes solutions ne vont pas dans le bon sens. » En vérité, l’écologie a disparu du débat depuis que les principaux candidats ont signé le Pacte écologique. Comme si la question était réglée. Rares sont par ailleurs les occasions d’aborder les questions de fond avec les médias ! Je fais une campagne de terrain, j’essaie de mettre en valeur ce qui marche, ce qui peut nous aider à vivre mieux, à créer des emplois utiles. Ça intéresse qui ? Lundi, dans une ferme du Tarn-et-Garonne produisant des huiles brutes végétales, mardi dans la Nièvre, où des professionnels de santé inventent de nouvelles façons de travailler pour réduire leur isolement, mercredi avec les acteurs culturels de la Goutte d’Or, vendredi avec les pêcheurs et mareyeurs de Lorient, samedi avec les femmes des Courtillières ou les artisans de Pantin… Les journalistes présents posent deux questions, toujours les mêmes : « Et les parrainages ? », « Et les sondages ? » Et parfois une troisième : « Vous pensez quoi de l’avis de M. Truc sur Mme Machin ? » Notre entretien n’y échappe pas, comme le montrent vos premières questions ! Autre difficulté : l’état de la gauche, que je juge préoccupant.
Cette situation s’explique en partie par le réflexe de « vote utile » qui est exacerbé par l’état-major socialiste…
Oui, même si la concentration des intentions de vote sur la candidate socialiste s’explique d’abord par le comportement brutal et les propositions injustes du ministre de l’Intérieur, dont la candidature fait peur. Tout sauf Sarkozy. Tout sauf un nouveau 21 Avril. Avec, ces dernières semaines, une conséquence inattendue : certains semblent penser que, s’il s’agit seulement d’éliminer Sarkozy, et non de porter haut et fort un projet de civilisation, plus juste et moins prédateur des ressources de la planète, François Bayrou ferait l’affaire… Ce n’est bien sûr pas mon avis. Je reçois du courrier de gens qui me disent : « Vous avez du courage, tenez bon, mais je ne voterai pas pour vous… »
L’opinion a été préparée depuis plus d’un an à un second tour entre deux grands candidats, indépendamment même des contenus politiques. Les journalistes sont aussi des citoyens engagés. Ils ont fait leur choix. L’engagement du Nouvel Observateur , par exemple, est allé au-delà de la simple éthique journalistique à l’automne. Huit pages toutes les semaines sur Ségolène Royal, une couverture sur deux.
Que répondez-vous à l’argument du « vote utile » ?
Sur un plan stratégique, je réponds que, si la candidature socialiste a besoin d’éradiquer toute diversité à gauche pour franchir l’obstacle du premier tour, elle le payera par un manque de réserve de voix au second tour. Mais, d’un point de vue plus politique, je sais parfaitement que, si les questions d’environnement sont situées très haut dans les préoccupations des gens, ce n’est pas avec la même intensité que les questions sociales, comme le chômage ou le logement.
Si personne n’installe les questions d’écologie au coeur du projet de la gauche, si personne ne fait le lien avec le social, on fera comme si on pouvait traiter ces sujets séparément : le social d’abord, et puis un jour peut-être l’environnement. Pour notre part, nous affirmons – depuis de nombreuses années, pas depuis six mois – qu’il n’est pas possible de parler d’environnement sans faire reculer la pauvreté et l’injustice. Parce que ce sont les pauvres qui vivent dans les environnements les plus dégradés. Parce que ce sont eux qui subiront le plus durement les effets du changement climatique, ici comme dans les pays du Sud, et de la montée des prix des énergies fossiles. Mais aussi parce que l’écologie est une partie de la solution ! Est-il possible d’en convaincre des gens qui sont dans la survie ? Oui, si on leur démontre qu’il y a à la clé une meilleure qualité de vie, une diminution des coûts, et beaucoup d’emplois qualifiés. Ce lien entre le social et l’environnemental, c’est nous qui le faisons.
Mais est-ce que ce lien, et cette volonté généraliste, n’a pas eu pour effet une banalisation des Verts, passés du « trop d’écologie » au « pas assez » ? Est-ce que vous n’êtes pas devenus, pour l’opinion, un courant de la gauche comme un autre, moins identifiable ?
Le fait d’être ancrés dans la gauche, on l’assume. Quand on se préoccupe de construire des logements très sociaux bien isolés pour réduire les factures de chauffage, de développer les transports publics pour permettre aux gens de se passer très concrètement de leur voiture, de l’agriculture paysanne, des énergies renouvelables, de la gestion durable des ressources des océans, on fait de l’écologie avec le souci des conséquences économiques et sociales. Le problème est que la plupart des gens confondent encore écologie et nature. Seuls les Verts s’occupent vraiment d’écologie. Ce n’est pas une impression, ou un avis. C’est un fait.
Quand j’entends certains aspects de votre discours, notamment sur le service public, je me dis que vous pourriez ne pas être si éloignée de cette gauche antilibérale.
Je ne crois pas que ce soit si simple…
Vous n’avez pas été tentée de surmonter la ligne de fracture qui s’est dessinée au sein de la gauche, voire parmi les écolos, avec le référendum européen de mai 2005 ?
Bien sûr que si ! Un mot sur les services publics. Ils sont irremplaçables. Mais défendre le service public, pour moi, ce n’est pas entretenir les mythes. Le bon vieux temps n’était pas si formidable. Et ce qu’on appelait « service public » a parfois fonctionné au mieux des intérêts des clientèles et des corporations. On ne peut avoir un discours idéologique déconnecté de la réalité du terrain. Le service public doit évoluer. Donner plus à ceux qui ont moins. Répondre autrement. Faire preuve de souplesse, d’innovation. Pas sans les agents, ou contre eux. Avec eux. De nouveaux services sont nécessaires pour tenir compte de nouveaux besoins. Va-t-on continuer à payer au noir les interprètes des services des étrangers des préfectures ? Et laisser à la débrouille, et au gré à gré, le secteur de la garde des enfants ou du soutien scolaire ? Mais je refuse toute démagogie. Le discours sur le « toujours plus » ne fonctionne plus.
Où est le malentendu avec la gauche antilibérale ? On a eu un débat qui a durement blessé les uns et les autres sur le traité constitutionnel européen. Je n’ai jamais pensé que cette ligne de clivage devait durablement structurer la gauche. C’est dans la mouvance du « non » qu’on a choisi de faire vivre des collectifs antilibéraux et d’aller à la présidentielle sur cette base. Comme si on pouvait fonder une candidature sur un vote vieux de deux ans, et non sur un projet pour l’avenir. Si les réunions qui ont suivi le référendum avaient été convoquées sur la base de « surmonter la division », on aurait pu y aller. Mais elles ont été convoquées sur la base de « faire vivre le « non » ». Je ne me suis pas sentie concernée.
José Bové aurait sans doute pu servir de trait d’union entre des gens de tradition écologiste et d’autres de tradition productiviste. Nous l’avons invité aux journées d’été de Coutances. Il n’est pas venu. Il a fait le choix de mettre en avant une autre dimension de son engagement. La gauche antilibérale s’est aussi heurtée à des logiques internes, comme celle du parti communiste, qui joue la survie d’un groupe parlementaire, ou celle de la LCR, hostile à l’idée même de participer à un gouvernement avec le PS. Moi, je ne crois pas que l’on puisse constituer une majorité de gauche sans le PS. Je ne crois pas non plus à une politique qui dénonce sans jamais courir le risque de prendre des responsabilités pour faire bouger vraiment les lignes.